Orange-Bouygues : un mariage heureux ?

Archives Les Brèves

Source : ouest-france.fr (2 mars 2016)

Point de vue de Thierry Pénard, professeur d’économie à l’Université de Rennes 1.
Alors qu’Orange et Bouygues Telecom discutent d’un rapprochement depuis plusieurs semaines, Stéphane Richard, le patron de l’opérateur historique, continue de déclarer que ce mariage a une chance sur deux de se faire.

Il reste notamment à convaincre l’Autorité de la concurrence. Elle a pour mission de contrôler les fusions susceptibles de porter atteinte à la concurrence. C’est le cas lorsque les entreprises qui se marient se retrouvent en position dominante et en profitent pour évincer des concurrents du marché ou en empêcher l’entrée.

On peut tout autant craindre qu’une fusion, en réduisant le nombre d’entreprises sur le marché, augmente les risques d’entente sur les prix, au détriment des consommateurs. Généralement, l’Autorité de la concurrence met en balance les effets négatifs d’une fusion avec ses effets potentiellement bénéfiques tels que des synergies ou la création de nouveaux services.

Si les effets anticoncurrentiels l’emportent, l’Autorité peut interdire la fusion. C’est la décision prise par les Autorités de la concurrence en Europe après examen du projet de rapprochement des deux opérateurs scandinaves, Telenor et TeliaSonera, qui aurait réduit le nombre d’opérateurs de quatre à trois sur le marché danois.

Peut-on s’attendre à la même décision en France ? Même si Stéphane Richard affirme dans la presse que le rachat de Bouygues Telecom par Orange n’aura aucun effet sur les prix, l’analyse économique et les expériences passées en Europe permettent d’en douter.

Des chercheurs ont montré que les fusions entre opérateurs européens dans la période 2003-2010 ont eu des effets inflationnistes sur les prix des services de téléphonie mobile (une hausse moyenne de 29 % lorsque l’on passe de quatre à trois opérateurs).

Évidemment, le contexte technologique et économique a changé depuis 2010, et il n’existe pas une relation mécanique entre le nombre d’opérateurs et l’intensité concurrentielle. Par exemple, un marché avec peu d’entreprises peut être très concurrentiel si les barrières à l’entrée sont faibles et le rythme d’innovation très élevé.

« Pas d’effet mécanique sur les prix »

Dans le cas du marché français des télécoms, les mesures prises ces dernières années par les autorités pour faciliter le changement d’opérateurs ont permis d’intensifier la concurrence, tout autant que l’arrivée d’un quatrième opérateur (Free). Les prix des forfaits ont baissé de plus de 40 % depuis 2012 et les profits des opérateurs mobiles ont eux aussi fondu.

Interdire la fusion Orange-Bouygues permettrait certainement de maintenir les prix bas dans l’intérêt des consommateurs, mais cette décision pourrait se révéler à long terme contre-productive si les opérateurs français s’affaiblissaient et n’étaient plus en capacité d’investir et d’innover suffisamment. D’autres acteurs (Facebook, Apple, Google…) ne se priveront pas de le faire.

L’Autorité de la concurrence, si elle est appelée à se prononcer sur le rapprochement Orange-Bouygues, devra bien pondérer les effets de court terme et de long terme d’une consolidation du marché, ne pas s’en tenir aux seules considérations consuméristes et développer sa vision stratégique sur le devenir de ce secteur vital pour le reste de l’économie française.

(1) Thierry Pénard, professeur d’économie à l’Université de Rennes 1.