Orange-Bouygues Telecom : dernière ligne droite avant la consolidation

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Source : latribune.fr (24 mars 2016)

Alors que les deux groupes se sont fixés jusqu’à la fin mars pour trouver un terrain d’entente, Emmanuel Macron rencontre ce jeudi leurs chefs de file. La Tribune fait le point sur ce mariage inédit, qui sonnerait le retour d’un marché français à trois opérateurs.

J-7. Il ne reste plus qu’une semaine d’ici le 31 mars, la date butoir fixée par Orange et Bouygues Telecom pour trouver un terrain d’entente. Depuis un peu plus de deux mois, l’opérateur historique négocie le rachat de son rival. L’opération serait inédite, dans la mesure où elle sonnerait le grand retour d’un marché français des télécoms à trois opérateurs. Le prix, même s’il apparaît élevé au regard de la valeur réelle de

Bouygues Telecom, ne fait pas débat : celui-ci s’élève à 10 milliards d’euros, c’est-à-dire le même montant que Patrick Drahi, à la tête de SFR, était prêt à débourser en juin dernier pour la filiale de Martin Bouygues.

Mais le deal, particulièrement complexe, n’est pas encore bouclé. Pour qu’il aboutisse, les quatre opérateurs en place doivent se mettre d’accord sur un partage des actifs de Bouygues Telecom. Pourquoi ? Parce qu’ici, c’est Orange, l’ex-monopole d’Etat, qui rachète son rival le plus petit. Celui-ci ne peut donc pas avaler Bouygues Telecom d’une traite. Cela renforcerait encore sa position de leader sur le marché. Ce que l’Autorité de la concurrence, qui donnera in fine son feu vert à l’opération, ne tolérerait jamais. En outre, Orange dispose déjà d’un très bon réseau mobile, d’un important portefeuille de fréquences (obligatoires pour offrir la 3G et la 4G) et de boutiques partout en France. Très clairement, il n’a pas besoin des actifs de son concurrent, son principal intérêt résidant dans la diminution du nombre d’acteurs sur le marché.

Quid des boutiques de Bouygues Telecom ?

En résumé, Orange doit impérativement revendre l’essentiel de
Bouygues Telecom à ses rivaux SFR et Free, qui jouent du fait que rien ne se fera sans eux. Aujourd’hui, c’est l’opérateur au carré rouge qui raflerait la majeure partie de BT. Il débourserait autour de 4 milliards d’euros pour le gros des 12 millions d’abonnés de Bouygues Telecom. Free, le dernier arrivé sur le marché, mettrait environ 2 milliards sur la table pour récupérer les antennes mobiles de Bouygues Telecom et des fréquences. Orange, pour sa part, récupérerait les clients à forte valeur ajoutée – générant le plus d’ARPU, ou revenu mensuel moyen. Un dernier point bloquant resterait à lever : le devenir des boutiques de Bouygues Telecom et leurs employés. Xavier Niel, le patron de Free, n’en serait pas friand, alors que ses concurrents n’en ont guère besoin.

Mais ce n’est pas tout. Le deal doit aussi être adoubé par l’Etat, premier actionnaire d’Orange à hauteur de 23%. C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie, rencontre ce jeudi Stéphane Richard, le PDG de l’opérateur historique, et Martin Bouygues, à la tête du groupe éponyme. De fait, ce dernier l’a toujours dit : il ne veut pas quitter les télécoms. Le grand patron veut une participation significative dans Orange en échange de sa filiale. A terme, il en brigue 15%. De son côté, Stéphane Richard mise sur une augmentation de capital pour financer une partie de l’opération sans s’endetter davantage, et y faire entrer immédiatement Bouygues à hauteur de 10%.

L’Etat adoucit sa position

Problème : de sources proches du dossier, l’Etat ne veut pas voir sa participation trop diluée dans l’opération. Il ne souhaite pas descendre en-deçà de 20% ou 21% pour conserver la main sur Orange. En outre, il ne voudrait pas d’un Bouygues au-delà des 9%, et envisagerait des mesures pour l’empêcher de grimper une fois le deal bouclé. « Chez BpiFrance Participations et à l’Agence des participations de l’Etat (APE), c’est sûr qu’ils ne sont pas chaud, tout simplement pour des raisons patrimoniales », nous dit-on. Néanmoins, Bercy aurait adouci sa position. Il aurait « accepté que Bouygues prenne 12% du capital d’Orange au moment du rachat », avance BFM Business.

Si toutes les parties se mettent d’accord, l’opération ne concrétisera pas tout de suite. Le dossier atterrira dans les bureaux de l’Autorité de la concurrence. Bruno Lasserre, son patron, l’épluchera, et ne donnera son aval à la consolidation que si « la concurrence reste vive » sur le marché, comme il l’a dit mi-décembre sur France Info. Pour ce faire, il s’assurera d’abord que Free est assez armé. En clair, que le « trublion des télécoms » dispose de suffisamment d’incitations à tailler des croupières à la concurrence. D’autre part, il veillera à ce qu’Orange, déjà leader sur le mobile et l’Internet fixe, ne sorte pas renforcé de l’opération. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’Autorité de la concurrence mettra son veto ou proposera des remèdes complémentaires.

Risque d’oligopole

Pour les observateurs, dans un marché mature comme la France, le risque, c’est que les acteurs se muent en oligopole. Ou en d’autres termes, qu’ils s’assoient sur leur base d’abonnés, et augmentent les prix (justifiés par plus de débit) pour doper leur rente. Tel est le scénario que voudront à tout prix éviter les autorités concurrentielles.
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