Source : lemonde.fr (10 mai 2016)
La ministre du travail, Myriam El Khomri, lors du discours d’introduction des débats sur la réforme du code du travail à l’Assemblée nationale, le 3 mai.
Pour la troisième fois, le premier ministre, Manuel Valls va recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire adopter la loi sur la réforme du code du travail sans passer par le vote du Parlement. Près de cinq mille amendements ont, à ce jour, été déposés par des députés pour modifier le contenu de la loi, dont l’examen devait durer jusqu’à jeudi 12 mai. Face à l’opposition populaire et aux hésitations de l’Hémicycle, le gouvernement a décidé d’opter pour un passage en force. Un conseil des ministres extraordinaire s’est réuni mardi 10 mai en début d’après-midi pour trancher la question.
Souvent considéré comme une mesure d’exception, le recours au 49-3 fut pourtant fréquent sous la Ve République, quatre-vingt-quatre fois depuis 1958. Quelles sont précisément les dispositions prévues par cet article et pourquoi engage-t-il la « responsabilité du gouvernement » ?
Que dit le texte ?
L’article 49-3 fait partie du « Titre V » de la Constitution de 1958. Ce chapitre, qui s’étend des articles 34 à 51, met en place un ensemble de dispositions censées réguler les « rapports entre le Parlement et le gouvernement ». Parmi ceux-ci, donc, le fameux 49-3, qui dispose que :
« Le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Concrètement, le conseil des ministres peut décider seul de l’adoption d’une loi sans passer par le Parlement, mais seulement une fois par session parlementaire pour un autre projet de loi.
Quelle est son utilité ?
Le 49-3 est utilisé lorsque les débats s’enlisent à l’Assemblée nationale ou que le gouvernement veut faire passer une loi dans l’urgence. C’est souvent un aveu de faiblesse face au Parlement, et un outil pour affirmer la primauté de l’exécutif. « L’expérience a conduit à prévoir, en outre, une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable », considérait Michel Debré, un des auteurs de la Constitution, à propos du 49-3, en faisant référence à la lenteur des prises de décision sous la IVe République.
C’est, en somme, un recours ultime pour le gouvernement face à l’hésitation des députés. Son utilisation a été critiquée à maintes reprises, notamment par François Hollande, qui déclarait en 2006, alors qu’il était premier secrétaire du Parti socialiste : « Le 49-3 est une brutalité. Le 49-3 est un déni de démocratie. »
Que peut faire l’Assemblée contre le 49-3 ?
La Constitution française ne laisse pourtant pas l’Assemblée totalement démunie face au 49-3. Si l’article « engage la responsabilité du gouvernement », c’est que l’Assemblée peut s’y opposer en adoptant une motion de censure.
Cette motion de censure doit être déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent le recours au 49-3 et doit être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale, soit cinquante-huit députés.
Le vote de cette motion de censure doit avoir lieu dans les deux jours suivant son dépôt et seuls les votes en faveur de la motion sont comptabilisés lors du scrutin. Pour être adoptée, la motion doit recueillir une majorité d’approbation, soit le vote de deux cent quatre-vingt-neuf députés.
Toutefois, si une telle motion de censure était déposée, puis adoptée, elle renverserait le gouvernement. Celui-ci devrait alors démissionner et le texte serait rejeté. Dans les faits, jamais l’utilisation du 49-3 n’a abouti à cette situation.
Le 49-3 peut-il être utilisé régulièrement ?
Cet article constitutionnel peut être utilisé à volonté par le gouvernement pour différents textes de loi. Le record est détenu par Michel Rocard, à l’époque minoritaire à l’Assemblée, qui fit usage du 49-3 à vingt-quatre reprises durant ses trois années en tant que premier ministre de François Mitterand, entre 1988 et 1991.
Manuel Valls peut donc avoir recours à cet article concernant le projet de réforme du code du travail. Toutefois, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le 49-3 ne peut être utilisé « que pour un seul texte par session parlementaire », hors projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale.
Notons que, lors des discussions au moment de la révision constitutionnelle de 2008, Manuel Valls faisait parti des députés qui souhaitaient supprimer la majorité des pouvoirs du 49-3.