Loi travail : quelle est cette « inversion de la hiérarchie des normes » qui fait débat ?

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Source : lemonde.fr (10 mai 2016)

C’est devenu le principal point de crispation autour du projet de loi de réforme du code du travail. Selon ses opposants, il prévoit une véritable « inversion de la hiérarchie des normes », bouleversant l’ordre juridique établi dans le droit du travail.

Qu’est-ce que la hiérarchie des normes ?

De manière générale (pas seulement dans le droit du travail), les différentes « normes » (règles obligatoires) sont organisées de manière pyramidale : la Constitution ne doit pas être contraire à un traité international signé par le pays (bien que certains juristes s’opposent sur ce point), une loi doit être conforme à la Constitution, un contrat doit respecter la loi.

Le code du travail, lui, est régi par la loi. Les accords collectifs (de branche/secteur d’activité ou d’entreprise) ne peuvent pas être moins favorables aux salariés que ce que la loi dispose. L’accord d’entreprise ne peut pas être « moins disant » pour les salariés que l’accord de branche (sauf exceptions). Et, en dernier lieu, le contrat de travail ne peut pas être moins favorable que ce que prévoit l’accord d’entreprise.

Que prévoit le projet de loi ?

Dans son « exposé des motifs » présenté à l’Assemblée nationale, le projet de loi explique que « la primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun ».

Autrement dit, dans le domaine de la durée du travail (nombre maximum d’heures quotidiennes et hebdomadaires, temps de repos, congés payés, etc.), l’accord d’entreprise peut être « moins disant » que l’accord de la branche d’activité. Cette primauté s’exercerait « notamment en matière de fixation du taux de majoration des heures supplémentaires, où la priorité est donnée à l’accord d’entreprise, et non plus à l’accord de branche ».

Lire aussi : Loi travail : ce que prévoit la réforme avant l’examen par l’Assemblée nationale

Est-ce une « inversion de la hiérarchie des normes » ?

La hiérarchie n’est pas totalement inversée en matière de droit du travail. Le code du travail prévoit toujours des dispositions minimales au-delà desquelles les accords de branche ou d’entreprise ne peuvent pas aller. Mais c’est entre ces derniers que le vrai changement s’opère : désormais, des accords négociés au niveau de l’entreprise pourront être moins favorables par rapport aux dispositions négociées au niveau de la branche d’activité.

Il est toutefois à noter que des dérogations à cette hiérarchie ont déjà été introduites par de précédentes lois, comme en 2004 et en 2008 sous une majorité de droite. C’est par exemple le cas en matière de quota d’heures supplémentaires ou d’aménagement du temps de travail (pendant une période allant d’une semaine à un an). Mais à un détail près, qui n’en est finalement pas un : l’accord de branche peut interdire spécifiquement les dispositions moins favorables au niveau dans l’entreprise. Dans ce cas – et avant un éventuel changement si la « loi travail » est adoptée en l’état –, l’accord d’entreprise ne peut pas passer outre.

Quels sont les arguments pour et contre ?

L’objectif de ce changement dans la hiérarchie des normes est de laisser davantage de marge de manœuvre dans la négociation au niveau de l’entreprise, pour que celle-ci s’adapte le mieux possible aux contraintes de son environnement. Il s’agit également d’une confiance dans la négociation collective : le gouvernement part aussi du principe que les syndicats de l’entreprise n’accepteront pas un accord trop défavorable par rapport aux dispositions prévues au niveau de la branche. Mais la ministre du travail, Myriam El Khomri, réfute toute « inversion de la hiérarchie des normes ».

La droite approuve ce changement et aimerait le renforcer en permettant de définir la durée légale du temps de travail au niveau de l’entreprise (et donc sortir du cadre des 35 heures), comme le montre un amendement de députés Les Républicains, menés par Nathalie Kosciusko-Morizet.

De leur côté, les syndicats mettent en avant le déséquilibre par nature des négociations dans l’entreprise, où l’employeur et la direction sont en position de force vis-à-vis de leurs employés. Ils craignent ainsi le risque de « chantage à l’emploi » (menace de supprimer des postes, sous prétexte d’une situation économique défavorable, si les syndicats ne signent pas l’accord), risque moins important au niveau de la branche, où les représentants des patrons du secteur font face aux représentants des salariés issus de plusieurs entreprises.