Le « gagner ensemble » ou l’art de négocier sans concession ni compromis

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Source : le monde.fr (10 juin 2016)

La semaine est encore mouvementée sur le front social. Si la crue décroît en Ile-de-France, les revendications montent d’un cran en France. La grève se poursuit à la SNCF, tandis les appels aux arrêts de travail se multiplient dans le secteur de l’énergie et des déchets, à la RATP ou encore dans l’aérien.

Ces épreuves de force politiques en rappellent d’autres, dans nos sphères privées. Comment aborder les divergences conjugales ou familiales, et trouver un terrain d’entente sur ce qui ressemble parfois à un champ de mines ?, s’interroge #AlloMarlène. Réponse avec Stéphanie Demoulin, professeure de psychologie sociale à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et auteure de Psychologie de la négociation, du contrat de travail au choix des vacances (Ed. Mardaga, 2014).
La négociation doit-elle rimer avec compromis et concession ?

L’une des erreurs les plus fréquentes commises en négociation, au sein du couple ou en famille, est de croire que les seules stratégies à disposition sont le compromis ou la concession. La concession consiste à céder : le partenaire emporte la mise et impose son point de vue. Avec le compromis, c’est la stratégie du juste milieu : on coupe la poire en deux et chacun n’obtient que la moitié de ce qu’il réclame. Le problème de ces deux options est qu’elles sont fondées sur une conception fondamentalement compétitive de la négociation, à savoir l’idée erronée qu’il y a un gagnant et un perdant. Les protagonistes, engagés dans une négociation, n’envisagent pas qu’ils peuvent… gagner ensemble !

La stratégie du « gagner ensemble » s’appelle la collaboration. Prenons l’exemple de deux personnes qui se disputent une orange. Avec la stratégie de la concession, l’une d’elle obtient l’orange et est pleinement satisfaite alors que l’autre n’obtient rien et a donc une satisfaction nulle. Avec la stratégie du compromis, on coupe l’orange en deux, chacun reçoit la moitié de l’orange et chacun n’est donc qu’à moitié satisfait.

La collaboration, c’est s’intéresser aux motivations des parties, à ce qui se cache derrière leurs demandes. En cherchant à savoir « pourquoi » l’un et l’autre désire l’orange, il peut s’avérer que l’un la réclame pour son jus et l’autre pour son zeste. La solution optimale, et pleinement satisfaisante pour les deux parties en présence, consiste à distribuer le jus à l’un et le zeste à l’autre. Certes, tout n’est pas toujours aussi simple et tranché…
Quel est le secret d’une négociation viable sur le long terme ?

Dans le cadre conjugal ou familial, nous sommes sur des relations à long terme, qui vont perdurer au-delà de la négociation proprement dite. Une partie qui se sentirait frustrée aura tendance à ruminer sa déception ou sa colère, ce qui risquera de nuire au couple et/ou à la famille. La collaboration entre les parties est primordiale. En trouvant des solutions satisfaisantes pour tous, on préserve la qualité des relations.

Néanmoins, mettre en place la collaboration n’est pas toujours aisé. Il est parfois important de savoir céder à un moment pour obtenir autre chose plus tard. Mais le principe des relations à long terme, c’est qu’elles doivent rester équilibrées. C’est-à-dire que, au cours des diverses discussions qui ponctuent la vie amoureuse et familiale, chacun doit pouvoir s’imposer à certains moments et céder à d’autres. Si c’est toujours le même qui s’impose et le même qui cède, l’équilibre n’est plus établi. Un des deux protagonistes vient à dominer l’autre, et la frustration ressentie par le membre dominé donnera lieu à un accroissement des tensions et des conflits.

Une solution sera viable si toutes les parties en présence se sentent satisfaites. La satisfaction ressentie est nettement plus essentielle à la viabilité d’un accord que le gain obtenu. Une discussion où chacun a eu son mot à dire, où chacun s’est senti respecté et compris, où les arguments de chacun ont été entendus et pris en compte, est une discussion qui, quel que soit l’accord finalement négocié, produira une solution viable, une solution pour laquelle toutes les parties s’engageront à respecter les termes de l’accord conclu.
En couple ou en famille, faut-il céder ou plutôt résister ?

Certaines personnes, au sein d’un couple ou d’une famille, ont tendance à céder facilement face aux demandes de leurs partenaire ou interlocuteurs. Ce comportement est lié à un besoin de reconnaissance et d’appréciation. Elles craignent d’être mal évaluées, mal perçues ou mal aimées si elles imposent leurs idées. En agissant ainsi, elles n’obtiennent pourtant ni ce qu’elles veulent ni ce besoin de reconnaissance et d’appréciation qu’elles recherchent en cédant. Il importe, à certains moments, de résister, notamment en fonction des enjeux en présence.

Résister à tout prix et à tout moment n’est pas davantage recommandé. Le vrai bon négociateur est celui qui s’adapte, qui réévalue sans cesse ses positions en fonction des demandes de l’environnement, selon les propositions qui lui sont faites et des motivations, souvent changeantes, qui sont les siennes.