La France, championne d’Europe de l’intolérance vis-à-vis des syndicats

Archives Les Brèves

Source : challenges.fr (10 juin 2016)

Récapitulons. La France a invité les 24 meilleures nations du foot européen, et le jour où la compétition s’ouvre, elle a déjà gagné un championnat bien particulier, celui des conflits sociaux qui pourrissent le pays et l’ambiance. Sommes-nous les seuls en Europe à gâcher notre plaisir? Sommes-nous les seuls en Europe à tolérer de voir notre pays bloqué par des grèves?

Surprise, à consulter ci-dessous le sondage Odoxa-Aviva pour Challenges et BFMBusiness réalisé dans les cinq grands pays européens : les Français sont en réalité les moins compréhensifs en Europe vis-à-vis du blocage d’un pays par les syndicats… Ils ne sont que 50% à s’y résoudre, quand 61% des Allemands acceptent que cela puisse être une conséquence d’une mobilisation sociale.

7 jours de grève par an pour 1.000 habitants en Allemagne

Comment expliquer cet apparent paradoxe – des Allemands élevés au bon lait de la cogestion et du consensus davantage prêt à affronter les conséquences d’une crise sociale que des Français rompus à l’antagonisme? Deux interprétations de ce résultat plutôt contre-intutif. D’abord les citoyens outre-Rhin souffrent moins souvent des grèves que nous : sur les 10 dernières années, l’Allemagne affiche 7 jours de grève par an pour 1.000 habitants, contre… 120 jours en France. Soit 17 fois moins de risques d’être exposé aux conséquences d’une grève chez nos voisins.

Et puis il y a une autre explication à la relative tolérance allemande en comparaison de l’impatience française vis-à-vis des mouvements sociaux. Dans une Allemagne deux fois et demi plus syndiquée qu’en France, le syndicat (souvent unique) dispose de davantage de légitimité, les conséquences des grève sont mieux assumées, tout simplement parce que les mouvements ont davantage de fondement.

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A cet égard, tant la grève des cheminots de la CGT et de Sud Rail qui perdure, que le préavis des pilotes d’Air France, apparaissent absurdes, chacune pour des raisons différentes. La première qui ralentit fortement les RER menant au Stade de France, n’est pourtant pas liée à des enjeux propres à la SNCF. La direction, sous la pression de l’Etat actionnaire, a en effet déjà tout cédé. Renonçant à l’assouplissement de l’organisation du travail des cheminots pour les rendre plus compétitifs face à la concurrence. Or, la CGT et Sud-Rail qui entrent dans leur neuvième jour d’affilé de conflit, plombant au passage l’entreprise de 300 millions d’euros, ne lâchent pas la pression. Même si la CGT reconnaît que « des améliorations arrachées par la mobilisation », elle refuse de mettre fin à la grève, laissant sa base dans les Assemblées générales décidée par elle-même. Histoire d’entretenir la flamme de la contestation au moins jusqu’au 14 juin, jour de la manifestation nationale à Paris, contre la loi El Khomri. Bien loin des préoccupations des cheminots.

Un quart des vols cloués au sol chez Air France

Côté Air France, un quart des vols vont être cloués au sol dans une ambiance surréaliste. Jeudi, les syndicats SNPL (majoritaire), Spaf et Alter, ont transmis à la direction une liste de six revendications qui impliquent l’arbitrage de la présidence du groupe. Une situation impossible pour Frédéric Gagey. Le PDG d’Air France admet qu’une question, comme le rééquilibrage de la croissance trop favorable à KLM est « légitime et pertinente », mais ne peut se faire « en huit jours ». Et surtout, sans l’aval du nouveau patron, Jean-Marc Janaillac qui n’arrive que le 4 juillet… La direction est prête aussi à doper sa filiale low cost, Transavia dont les pilotes réclament cinq avions supplémentaires alors qu’ils s’étaient mis en grève en 2014, contre son développement ! Faute d’interlocuteur, les négociations tournent en rond et les annulations de vol font perdre à l’entreprise 5 millions d’euros par jour. Comprenne qui pourra et merci les syndicats!

(Avec Pauline Damour)