Suicides chez France Télécom : le harcèlement moral au travail en sept questions

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Source : LEXPRESS.fr (7 juillet 2016)

Le harcèlement moral est défini dans le code du travail comme des agissements pour effet de dégrader les conditions de travail et de porter atteinteaux droits, à la dignité ou d’altérer la santé et l’avenir professionnel d’un salarié.
Sept ans après la série de suicides chez France Télécom, le parquet de Paris a décidé de poursuivre plusieurs anciens dirigeants de l’opérateur pour harcèlement moral. Il leur reproche d’avoir créé au sein de l’entreprise un climat anxiogène. Explications.

La décision du parquet de Paris de renvoyer trois anciens dirigeants de France Télécom devant la justice pour répondre de « harcèlement moral » et de poursuivre également quatre autres anciens responsables pour « complicité de harcèlement moral » constitue une première en France.

Rares sont les très hauts dirigeants à se retrouver devant la justice pénale pour des faits de « harcèlement moral » dont ils ne sont pas les auteurs directs. Cette affaire en tout point exceptionnelle met en lumière des pratiques managériales et l’absence de prévention des risques psycho-sociaux encourus par les 110 000 salariés qui appartenaient au groupe France Télécom à l’époque.

Voici les règles en vigueur sur l’épineuse question du harcèlement moral

1. Comment définir le harcèlement moral?

L’article L 1152-1 du code du travail fixe le principe suivant : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Une définition du harcèlement figure similaire également dans le code pénal (article 222-33-2).

« Cette définition est assez protéiforme, explique l’avocate Maï Le Prat. Certains ne la trouvent même pas assez précise mais il n’est pas possible de détailler l’ensemble des pratiques humiliantes ou désobligeantes dont peut se rendre coupable un harceleur. »

Sont, en tout cas, détaillées l’ensemble des effets désagréables voire nocifs pour la personne qui fait l’objet de harcèlement. La reconnaissance d’un seul de ces points suffit à caractériser le harcèlement. La question de la durée est également induite dans la définition. Pour qu’il y ait harcèlement, il faut que les faits soient « répétés ». « On considère qu’il y a répétition à partir de deux fois, précise MaÏ Le Prat. Et peu importe la durée totale du harcèlement, qui peut être courte ou longue. »

2. Qui peut être victime de harcèlement?

Tout salarié d’une entreprise, qu’il soit en CDD, en CDI, en intérim, en alternance ou en stage peut être considéré comme victime de harcèlement moral.

3. Quels sont les harceleurs possible?

L’employeur, le supérieur hiérarchique, toute personne ayant autorité sur le salarié (donneur d’ordre, par exemple) peut être à l’origine de harcèlement moral.

Il n’est pas forcément nécessaire d’avoir un lien de subordination et d’autorité avec la victime. Un collègue peut ainsi en harceler un autre.

4. Qui faut-il prévenir si l’on s’estime harcelé?

Avant de décider de porter l’affaire devant la justice civile ou pénale, un salarié s’estimant harcelé peut informer les instances de représentation du personnel (IRP) ou la médecine du travail.

Ensuite, il est possible de saisir les prud’hommes et d’attaquer donc son employeur (même s’il n’est pas le responsable direct) ou de porter plainte contre la personne physique ou morale responsable des faits, pour faire examiner l’affaire devant la justice pénale. La plupart des cas se retrouvent devant la justice civile.

Le délai de prescription pour saisir la justice prud’homale sur cette question et obtenir réparation est de 5 ans. Pour le pénal, il est de 3 ans.

5. Comment prouver le harcèlement?

Aux prud’hommes, en particulier, le mécanisme de la preuve régit les débats. C’est à la personne s’estimant victime d’apporter les éléments nécessaires laissant présumer l’existence d’un harcèlement. « Ce sera ensuite à l’employeur de démontrer que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs, poursuit Maï Le Prat. Par exemple qu’une mauvaise note à une évaluation annuelle n’est pas le résultat d’une volonté d’humilier, mais s’appuie sur un mauvais comportement avéré. »

Mais prouver le harcèlement n’est pas simple. « La preuve reine, c’est le témoignage, détaille Maï Le Prat. Mais il n’est pas facile d’obtenir de ses collègues un témoignage s’ils sont toujours salariés de l’entreprise, car ils redoutent les représailles de l’employeur. Pourtant, quelqu’un qui dénonce en interne des faits de harcèlement ou qui témoigne ne peut être licencié. »

Les traces écrites comme les textos ou les mails constituent aussi de solides éléments de preuve, tout comme un certificat médical. « Mais il n’attestera jamais d’un lien de cause à effet ou d’une conséquence juridique, avance Maï Le Prat. Il peut décrire l’état psychique ou physique du patient et citer les propos de celui-ci. »

6. Quelles sont les sanctions encourues?

Au pénal, le délit de harcèlement moral peut entraîner jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Aux prud’hommes, la victime est indemnisée pour le préjudice et reçoit également l’ensemble des indemnités légales liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse.

7. Que risque l’employeur?

Jusqu’à présent l’employeur était à peu près toujours reconnu par la Cour de cassation comme responsable quand un salarié était victime de harcèlement moral. Mais un arrêt du 1er juin 2016 est revenu sur ce principe. Désormais, si l’employeur a tout fait pour éviter que de tels faits répréhensibles surgissent, il pourra être disculpé. Pour Maï Le Prat cet arrêt est une bonne chose : « Il va inciter les employeurs à faire davantage de prévention. »