Loi Travail : cet article passé inaperçu qui divise le monde de la franchise

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Source : challenges.fr (27 juillet 2016)

La levée de boucliers des professionnels de la franchise n’y aura rien changé. Le gouvernement a décidé de passer en force sur l’article 69 de sa loi Travail, renforçant le dialogue social dans les plus gros réseaux.

C’est l’une des mesures de la loi Travail adoptée en catimini qui fait grincer les dents du patronat. Après avoir été maintes fois modifié, l’article 64 (ex-article 29 bis A) a finalement été retenu par le gouvernement dans la dernière version du projet de loi. Son objet : l’encadrement du dialogue social dans les réseaux de franchise.

Jusque-là, le franchiseur n’était aucunement lié à la gestion des RH de ses franchisés, considérés comme des entrepreneurs indépendants. Le premier était seulement tenu de former les seconds au respect de son concept (savoir-faire, valeurs, process, etc.), moyennant paiement d’une redevance. Demain, une fois les décrets d’application publiés, tout franchiseur dont le réseau emploie au moins 300 salariés sur le sol français, devra, selon le texte, mettre en place une instance de dialogue social « commune à l’ensemble du réseau, comprenant des représentants des salariés et des franchisés et présidée par le franchiseur ».

Ce que prévoit la loi

D’après la version finale de la loi, cette instance aura essentiellement un rôle d’information. Selon le texte, elle sera ainsi avertie au moins deux fois par an « des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés », mais également des « entreprises entrées dans le réseau ou l’ayant quitté. »

Par ailleurs, elle pourra suggérer des voies d’amélioration des conditions de travail et de formation des salariés du réseau. « En l’état, cette instance n’a pas de prérogative de négociation syndicale. Elle s’apparenterait davantage à une sorte de comité d’entreprise en version plus « light », analyse Arnaud Teissier, avocat associé spécialiste en droit social chez Capstan qui rappelle que, selon leur taille, les franchisés sont déjà tenus aux mêmes obligations sociales que les autres entreprises (ex : élection des représentants du personnel, mise en place d’un comité d’entreprise, etc.). Pour autant, cette disposition constitue une évolution très importante d’un point de vue aussi bien pratique que théorique car elle reconnaît l’existence d’une communauté de travail qui dépasse le cadre d’entreprises différentes n’ayant, outre leur contrat avec le franchiseur, aucun lien économique les unes avec les autres et étant même parfois directement concurrentes. »

Atteinte à la liberté d’entreprendre

Pour Chantal Zimmer, déléguée générale de la Fédération française de la franchise, la création de cette instance revient tout bonnement « à considérer qu’il n’existe plus d’indépendance entre franchiseur et franchisé ». Selon elle, « le franchisé deviendra une sorte de salarié déguisé qui sera juridiquement et commercialement indépendant mais n’aura plus la maîtrise de son personnel ».

Créer cet organe de régulation sociale va porter, selon le président de la CGPME François Asselin, un sévère coup à l’ADN même de la franchise française – qui représente plus de 1.800 réseaux, près de 69.000 franchisés et 615.000 emplois- en l’alignant dangereusement sur le fonctionnement d’un grand groupe avec ses filiales. « Le législateur rend le franchiseur responsable d’une communauté de salariés qui ne sont pas les siens », estime Arnaud Teissier (Capstan) qui pointe les nombreuses zones d’ombre quant aux modalités de fonctionnement de l’instance (horaires de délégation, périmètre d’application réel, critère de calcul de l’effectif…).

Avec, à la clé, le risque de non seulement dissuader les potentiels franchisés de rejoindre et/ou rester affilié à un réseau mais aussi de créer un nouveau plafond de verre dommageable au développement de nombre de franchises en France. « Cela n’apporte rien aux salariés et va au contraire ajouter une contrainte supplémentaire pour les franchises », estime François Asselin, qui voit là une atteinte à la liberté d’entreprendre.

Une vision partagée par plusieurs députés et sénateurs LR et UDI qui ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel sur ce fondement, notamment. Les pourfendeurs du texte pointent également le caractère inégalitaire de cette mesure dont la franchise est l’unique cible alors même que d’autres formes de collaborations économiques auraient pu être concernées telles que les concessions ou le commerce associé.

… ou progrès social?

Des arguments qui ne tiennent pas la route selon Olivier Guivarch, secrétaire général de la CFDT Services. « Pour nous, cette disposition est un progrès social, pas un problème économique. Ce n’est pas parce que l’on introduit un peu de dialogue social que l’on va freiner les ventes. Arrêtons avec cette idéologie!, s’insurge-t-il. Il existe bien des associations de franchisés qui permettent aux employeurs de s’organiser entre eux. Je ne vois pas sur quel fondement des salariés ne pourraient pas avoir accès au même droit. Nous ne cherchons pas l’unité économique et sociale, mais la reconnaissance d’une forme de communauté de destin au sein de laquelle les salariés sont intrinsèquement liés à la bonne santé de leur réseau dans son ensemble. »

Pour le représentant de la CFDT Services, cette instance permettra ainsi aux collaborateurs d’avoir régulièrement accès à des informations importantes sur la vie de leur franchise, sa santé économique voire même les opportunités de mobilité géographique et d’évolution professionnelle.  » Je ne vois pas en quoi ces droits sont anticonstitutionnels. »

Et maintenant?

Cette question doit être tranchée d’ici au 22 août par les Sages. Si la disposition est retoquée, le gouvernement n’aura d’autre choix que de l’abandonner ou de revoir sa copie dans le cadre d’un nouveau cavalier législatif.

« Un peu comme pour le compte pénibilité, on ouvre ici la boîte de Pandore », avertit François Asselin. Une équation à multiples inconnues sur laquelle le gouvernement devra plancher dans les prochains mois. A moins qu’elle ne soit finalement mise entre parenthèses avant l’élection présidentielle.