Ce que la loi El Khomri change pour les entreprises industrielles

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Source : lemonde.fr (10 octobre 2016)

Depuis la loi El Khomri du 8 août 2016, les entreprises peuvent négocier des accords d’entreprise dérogatoires aux accords de branche, ce qui donne une plus grande marge de manœuvre à l’entreprise pour fixer le temps de travail » (Photo : chaîne de montage de l’usine Renault de Douai (Nord). Le constructeur français y emploie 3800 personnes). RGA/REA

« La loi travail contient beaucoup de dispositions importantes pour les entreprises industrielles, indique Nicolas de Sevin, président d’AvoSial, syndicat des avocats spécialisés en droit social. La principale évolution concerne les accords d’entreprise. » Les accords de branche continueront à prévaloir pour ce qui concerne la rémunération, la pénibilité ou encore la formation.

Mais, depuis la loi El Khomri du 8 août 2016, les entreprises peuvent négocier des accords d’entreprise dérogatoires aux accords de branche, ce qui donne une plus grande marge de manœuvre à l’entreprise pour fixer le temps de travail. Les entreprises industrielles qui pratiquent la modulation, les « 3 × 8 » ou des horaires décalés sont les premières concernées.

En clair, une entreprise peut désormais déroger aux accords de branche pour la durée maximale de travail, le temps de repos quotidien, les heures supplémentaires, les congés… Mais des seuils et des minima à respecter sont fixés ou rappelés par la loi : le taux de majoration des heures supplémentaires est d’au moins 10 %, la durée maximale du travail ne peut dépasser 12 heures sur une journée et 48 heures sur une semaine, ou 44 à 46 heures sur un maximum de 12 semaines consécutives.

Référendum d’entreprise

L’intervalle de temps considéré comme du travail de nuit a été élargi, de 21 heures à 7 heures (au lieu de 6 heures auparavant).

En revanche, la loi n’introduit pas de changement concernant les temps de pause, de restauration ou d’habillage, qui restent considérés comme du temps de travail. Pas de nouveauté non plus en matière de temps partiel, dont la durée minimale reste fixée à 24 heures hebdomadaires, avec des exceptions déjà prévues par la loi (accord de branche étendu, accord écrit du salarié…).

La métallurgie (1,5 million de salariés) est le premier secteur à avoir signé un accord de modulation du temps de travail sur une longue période, en septembre, pour mieux s’adapter aux cycles de production

Quant à la modulation du temps de travail sur une longue période, celle-ci peut désormais aller jusqu’à trois ans en cas d’accord de branche. Visant à limiter les licenciements, cette disposition intéresse les acteurs de l’industrie. La métallurgie (1,5 million de salariés) est le premier secteur à avoir signé un accord en ce sens, en septembre, pour mieux s’adapter aux ­cycles de production.

L’autre grand changement introduit par la loi concerne la validation des accords d’entreprise. Pour faciliter leur négociation et renforcer leur légitimité, la loi travail impose désormais qu’un accord soit validé par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés (contre 30 % auparavant, et avec possibilité pour les syndicats majoritaires de s’y opposer). Des syndicats minoritaires représentant plus de 30 % des salariés pourront continuer à signer des accords, à condition qu’ils soient validés par un référendum dans l’entreprise.

Cette mesure a soulevé de violentes critiques du côté des syndicats jusqu’à l’adoption de la loi. L’option du référendum, sans valeur contraignante à l’époque, avait été utilisée par Smart pour augmenter le temps de travail sans majoration de salaire. Le long bras de fer entre direction et syndicats provoqué par cette initiative s’est conclu, le 3 octobre, par le retour au travail des salariés, parce qu’ « ils n’avaient pas le choix », disent-ils.

Information et non plus validation

Afin de faciliter la négociation collective au niveau des entreprises de moins de 50 salariés (l’industrie en France compte plus de 150 000 TPE), qui n’ont pas toujours de délégué syndical, les employeurs des très petites entreprises peuvent désormais négocier avec des élus du personnel non mandatés par un syndicat, à condition que ces élus aient réuni au moins 50 % des voix des salariés. L’accord ainsi négocié est avalisé après une simple information de la commission paritaire de branche, et non plus après validation.

La loi crée des accords dits de « préservation de l’emploi » permettant de suspendre les clauses du contrat de travail des salariés. Seule la rémunération ne peut être modifiée

La loi définit également le licenciement économique de manière plus précise. Le plafonnement des indemnités pour licenciement injustifié a été abandonné. La loi crée des accords dits de « préservation de l’emploi » permettant de suspendre les clauses du contrat de travail des salariés. Seule la rémunération ne peut être modifiée. Ces accords coexistent avec les accords de maintien de l’emploi, qui demeurent possibles. En cas de dénonciation d’un accord collectif, le maintien des avantages individuels acquis (congés payés…) disparaît. « Cette disposition introduit la primauté du collectif sur l’individuel », fait valoir M. de Sevin.

D’autres dispositions de la loi, plus mineures, viennent encadrer les conditions de travail en entreprise. Elles concernent notamment les salariés exposés à des facteurs de pénibilité. La visite médicale à l’embauche, destinée à vérifier l’aptitude du salarié, est remplacée par une simple visite « d’information et de prévention », sauf pour les emplois à risque (exposition à l’amiante, aux produits chimiques…). Elle n’a plus lieu obligatoirement tous les deux ans, mais en fonction du poste et de l’état du salarié. Si le médecin du travail estime que l’état de santé de celui-ci empêche son reclassement, en cas d’inaptitude, l’employeur n’est plus tenu de lui en proposer un.

L’exercice de la religion dans l’entreprise est abordé par la loi travail, sans que le texte apporte de réelle nouveauté. Selon le texte, « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés, si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». En clair, le cas par cas reste de mise.

Enfin, en matière de formation, les règles concernant les apprentis mineurs ne changent pas. Les groupements d’employeurs deviennent éligibles aux aides publiques à la formation professionnelle. En vue de développer l’apprentissage, il sera possible, à titre d’expérimentation, de conclure un contrat de professionnalisation avec un demandeur d’emploi.
En attente des décrets d’application

Reste que de nombreuses dispositions du texte de loi – sur les accords d’entreprise, les conditions de dépassement de la durée maximale de travail, les accords de préservation de l’emploi… – sont soumises à la promulgation de décrets d’application, plus d’une centaine au total. La ministre du travail a toutefois annoncé que la quasi-totalité serait publiée avant la fin de l’année