La parité en entreprise pourrait offrir 12.000 milliards de dollars de PNB

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Source : challenges.fr (1er décembre 2016)

Ce jeudi 1er décembre, seconde journée du Women’s forum, McKisney a présenté sa traditionnelle étude sur les femmes et l’entreprise au coeur du débat sur les CEO champions. Mais cette année, elle est un peu différente et s’attache à « réinventer le lieu de travail pour débloquer le potentiel de la parité ». Challenges a rencontré Sandrine Devillard, directrice associée senior de McKinsey en France pour la commenter.

Que gagnerait-on à atteindre l’égalité hommes-femmes en entreprise ?

Pour cette étude McKinsey, nous avons toutes les inégalités hommes-femmes dans 95 pays grâce à 15 indicateurs chiffrés. Si, dans chaque région, les pays progressaient sur le modèle du pays qui progresse le plus en matière d’égalité, on obtiendrait 12 000 milliards de dollars de produit national brut (PBN) à l’horizon 2025. Ce serait énorme, car cela correspond à 1% de croissance en plus année après année. Et c’est vrai en Inde comme en Europe où on gagnerait 2 000 milliards de dollars.

Trois indicateurs importent particulièrement : il faut accroître le taux de femmes qui travaillent, le nombre d’heures travaillées, et faire en sorte qu’elles travaillent dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée. Par exemple la technologique ou la finance, plutôt que le « care ». Tous les pays ne se placent pas sur la même échelle. En Europe par exemple, les pays scandinaves sont globalement de bons élèves, l’Angleterre est un modèle sur le taux de participation des femmes au marché du travail. En Allemagne c’est plutôt dans les secteurs à valeur ajoutée où elles sont employées.

C’est un sujet rabâché, mais où en est-on aujourd’hui dans les entreprises ?

Pour cette étude McKinsey, nous avons analysé 330 sociétés dans l’Europe et la Turquie. Résultat, il y a encore de grands progrès à faire pour placer ce sujet parmi les priorités, pour mener les femmes aux postes de direction. Pour 60% des entreprises, c’était dans le top 10 des priorités, en légère progression ce qui est positif, mais ce n’est pas une priorité élevée. Les firmes qui ont beaucoup progressé sont celles qui classent ce sujet dans les 3 ou 5 premières, comme une priorité stratégique pour leur groupe.

Dans notre échantillon, plus de 50% des entreprises avaient mis en oeuvre plus de 25 actions en faveur de la mixité. Ca a l’air d’être une bonne nouvelle… Malheureusement, il n’y a pas de lien direct entre le nombre d’actions lancées et la progression de la parité concrète et l’effacement du plafond de verre. Même les employés s’en rendent compte car 59% d’entre eux pensent que ce n’est pas une priorité pour leur entreprise. Et 62% concèdent qu’au niveau personnel, ils « ne sauraient pas quoi faire pour progresser ». Pourtant les employés interrogés sont surtout des managers. Il faut que cette envie d’égalité se répercute dans toute l’organisation, c’est une série de conditions.

Il y a de bons élèves en matière de mixité, comment s’y prennent-ils ?

Ce qui compte c’est la persistance, c’est la mise en place de programmes sur plusieurs années. Les entreprises qui s’en sortent le mieux dans notre panel ont mis en place des mesures depuis plus de 4 ans. Il faut des indicateurs sur les résultats bien sûr, mais leur évolution est très lente, il faut donc établir d’autres indicateurs basés cette fois sur les moyens mis en oeuvre. Ce sont les premiers éléments d’une volonté de changer. L’autre facteur, c’est l’engagement du PDG, tout part de lui et tombe en cascade dans l’entreprise. Les bons exemples sont Danone et Sodexo. Il faut que les entreprises scrutent leur gestion des ressources humaines, repères les biais qui sont des obstacles à l’évolution de carrière des femmes. Par exemple, les programmes « hauts potentiels » qui s’arrêtent à 30 ans excluent, de fait, celles qui ont été mères jeunes.

Comme dans tout programme de transformation business, il faut mettre en place des mesures très concrètes pour stopper le goulot d’étranglement : développer les femmes en tant que leaders par des formations ou du mentoring notamment, et même changer le regard sur le leadership. Un bon leader peut être aussi une personne qui prend ses décisions collectivement, comme c’est souvent le cas pour les femmes. Certaines entreprises ont mis en place des programmes et communiquent une histoire du changement. Où on en est, où veut-on aller en matière d’égalité, cela sert une culture d’entreprise.

Mais l’Etat réclame déjà des entreprises de plus de 50 salariés qu’elles mettent en place un accord relatif à l’égalité professionnelle avec des mesures concrètes. Que dites-vous de neuf ?

La loi c’est bien, mais pour qu’ils soient efficaces, ces programmes doivent être totalement ancrés dans la réalité des entreprises. Entre Sodexho, Thales et l’entreprise de produits de beauté Shiseido, les problématiques ne sont pas les mêmes. Dans l’industrie, il n’y a que 20% de femmes dès l’entrée, chez Shiseido, elles sont 80% au départ. Aux entreprises de regarder les mesures qui vont faire la différence dans leur cas précis. Nous remarquons que les entreprises mettent en place les mesures réclamées par la loi, là où le bas blesse c’est dans la pertinence, l’implication et la qualité de la mise en oeuvre. Là il y a une grande marge de progression.