Comment faire échouer une équipe

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Source : rhinfo.com (4 Septembre2015)

Petite caricature ironique.

Dans l’art du management, il faut désormais croire – car c’est à la mode – que la théorie du chaos représente assurément le modèle idéal pour faire face à l’incertitude et à la complexité. Le dernier chic consiste à intégrer le concept de « non-stratégie » ou d’ « a-stratégie » comme modèle de méta-stratégie. Certes, celui qui fonctionnerait aujourd’hui avec des plans quinquennaux se heurterait rapidement à une réalité plus mouvante et prosaïque que jamais. Mais la réaction consistant à vulgariser approximativement la logique floue à tous les domaines, pour avoir le sentiment de garder toujours toute sa marge de manœuvre, relève au mieux du jésuitisme le plus banal, au pire de l’imposture managériale avérée. L’inverse d’une erreur n’a jamais été une vérité ; cela a toujours constitué une autre erreur !
Voici un exemple – caricatural et ironique – de ce que cela peut donner sur une équipe de travail :
• Sachant que normalement des être humains placés ensemble instaurent des relations, donc un risque de stabilité et par conséquent de « rigidité », il importe de maintenir un turn over important. L’approche systémique, consistant à considérer que ces interactions se nouent de membre à membre, mais également entre toutes sous parties du groupe, et entre chaque membre et chaque sous partie, le manager prendra soin de brouiller régulièrement les cartes en modifiant les repères : le cador d’aujourd’hui doit être le nullard demain ; celui qui a confiance en lui doit douter ; celui qui doute doit être chargé d’un gros dossier, voire de plusieurs ; celui qui est en train de réussir doit comprendre qu’il est partiellement à coté de la plaque et celui qui échoue doit quitter l’équipe. On obtient ainsi savamment une déstructuration a-structurante permettant de méta-structurer la réorganisation permanente. Vous suivez ? L’idée est d’éviter au maximum tout code de conduite, tout système de valeurs qui pourrait prendre progressivement, avec le temps, le poids d’une « culture », avec ses « normes » auxquelles chacun et tous se réfèreraient dans leurs jugements et dans leurs pratiques. Non ! C’est le flou et l’incertitude qui suscite l’innovation ! Ben tiens !
• Il est capital, si l’on veut vraiment faire échouer une équipe, de ne jamais élaborer de buts collectifs et communs ; l’individualisation est le plus sûr moyen de régner. Donnez un objectif ambitieux et motivant à l’un ; attendez qu’il soit « à fond » et lourdement investit … puis coupez-lui son budget ou imposez-lui des modifications profondes sur ce qui est déjà réalisé. Dans le même temps, vous aurez évidemment eu soin de faire développer un projet concurrent par un autre. Et vous placerez implicitement le reste de l’équipe en arbitre, afin d’obtenir des clans. Soyez convaincu que le heurt permanent des intérêts particuliers est le plus sûr moyen de compromettre toute cohésion et toute organisation durable. Surtout si vous prenez soin de distiller aux uns tout le mal que vous pensez des autres, puis réciproquement.
• L’équipe devra ainsi gérer l’existence d’émotions ambigües et de sentiments ambivalents. Comme l’implication de l’affectivité dans toute vie sociale est une réalité malheureusement spontanée aux être humains, il s’agit de combattre tout état d’âme en le faisant apparaître comme une faiblesse incompatible avec la constante rigueur d’analyse que requièrent la complexité de la réalité, la réorientation permanente de tout projet, l’opacité de l’avenir, l’incertitude du maintien de l’emploi, les exigences des actionnaires, etc.
• L’ensemble parvient ainsi à un déséquilibre interne et externe. L’équipe, dès lors, se construit un déséquilibre en son sein, de manière chaotique (le nec plus ultra !) et développe une malsaine émulation, matinée d’une ambiance délétère. Elle se positionne aussi par rapport à ses contextes et ses environnements de manière aléatoire, et ruine les interactions forte avec eux.
Il faut intégrer absolument ces quelques éléments très simples du dysfonctionnement d’un groupe si l’on veut qu’une équipe échoue.
Un peu de professionnalisme, que diable 😉