La discrimination à l’embauche : une réalité en France

Revue de Presse

Source : lefigaro.fr (16 décembre 2016)

NTERVIEW – Une enquête commandée par le ministère du Travail et menée auprès de 40 sociétés met en lumière un taux de réponses positives de 36% pour les noms à consonance maghrébine, contre 47% pour les autres. Quelles mesures prendre pour mettre fin aux discriminations à l’embauche ? Le point avec Stéphanie Delestre, entrepreneure.

Entre avril et juillet 2013, une enquête de « testing» commandée par le ministère du Travail a été menée auprès de 40 entreprises françaises. Conduite par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et l’association ISM Corum, spécialisée dans la prévention des discriminations, cette campagne a révélé qu’un nom à consonance maghrébine pouvait être un frein, lorsque l’on recherche un emploi. Selon cette étude, le taux global de réponses positives reçues par un candidat « maghrébin» est de 36%, contre 47% pour les candidatures « hexagonales». Soit une différence de onze points. Quelles leçons tirer de ce constat, et de quelle manière vaincre les barrières sociales? Stéphanie Delestre, fondatrice de la startup Qapa et membre de France Digitale, nous offre quelques éléments de réponse.

LE FIGARO. – Beaucoup de critiques ont été émises lorsque le rapport de cette enquête est sorti. Mais concrètement, quelles mesures vont être prises?

Stéphanie DELESTRE. – Je pense que mettre en place de nouvelles mesures n’est pas à l’ordre du jour. Souvenez-vous, il avait été décidé dans le passé d’opter pour un CV anonyme. Mais il s’est avéré que c’était quelque chose d’absolument impossible à mettre en oeuvre. En effet, lorsqu’un Directeur des Ressources Humaines (DRH, ndlr) reçoit une candidature de ce type, la première chose qu’il va demander au candidat, c’est son CV original. Pourquoi? Tout simplement dans le but de se faire une impression générale de la personne qu’il a en face de lui (détecter les fautes d’orthographe, voir si la construction de la candidature est claire…) et identifier le lieu de l’habitat du candidat. Si ce dernier est trop éloigné de l’entreprise, cela pourrait être source de démotivation ou d’abandon.

Les entreprises concernées par cette étude auront-elles l’occasion de « se rattraper», ou encourent-elles des sanctions?

Puisque cette enquête a été conduite de façon anonyme, la discrimination observée n’est pas punissable. En revanche, il est fortement conseillé à ces entreprises d’en tenir compte, et de rectifier leur ligne de conduite. Le problème qui touche de nombreuses sociétés françaises, c’est qu’elles connaissent une « fracture digitale». La politique de recrutement ne vise pas l’humain dans son individualité. On ne recherche pas certaines compétences, mais un profil-type. C’est pour cela qu’il existe de nombreux débordements. Oui, aujourd’hui en France, la discrimination à l’embauche est une réalité, qui s’est accrue ces derniers mois, en raison des attentats. Aujourd’hui, il arrive fréquemment que des recruteurs disent ouvertement rechercher « un profil caucasien». Ils ne s’en cachent plus.

Selon vous, quel est le but d’une telle étude, si elle ne permet pas d’aboutir à l’adoption de mesures concrètes?

Ce type d’étude n’est pas une nouveauté en France. On en parle beaucoup entre nous lorsqu’il y en a une qui paraît, on sait désormais comment cela se passe dans certaines entreprises, mais généralement cela s’arrête là.

« Ce type d’étude doit pousser les candidats à ruser»

Aujourd’hui, la discrimination est un délit extrêmement réglementé dans le code du travail. Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit à ajouter. En revanche, je pense que ces enquêtes doivent être l’occasion de positiver, de mettre l’accent sur la réussite de certaines entreprises face à ce problème. Elle doivent être aussi l’occasion de nous pousser à mettre davantage de mots sur les choses. En France, on a un problème de langage. J’ai grandi dans une cité HLM en banlieue parisienne, entourée de « Noirs», « Arabes», « chrétiens». Quand on n’ose pas mettre des mots et que l’on craint de parler d’identité, on tire la société vers le bas, on l’expose à certaines dérives, comme la discrimination à l’emploi. A titre personnel, j’ai vécu la discrimination. J’étudiais dans une grande école de commerce parisienne et j’étais en recherche de mon tout premier stage. Autour de moi, tous mes camarades trouvaient aisément. Lorsque j’ai compris que le fait que je vive en banlieue me portait préjudice, j’ai demandé à une copine parisienne l’autorisation d’indiquer son adresse sur mon CV. Immédiatement, tout a changé pour moi. Ce type d’étude doit pousser les jeunes candidats à ruser.

« Certains recruteurs reconnaissent ouvertement être en recherche de “profils caucasiens”».

Comment une entreprise comme Qapa se positionne-t-elle sur la question de la discrimination à l’emploi?

Aujourd’hui, les entreprises les plus prémunies face à la discrimination, ce sont les start-up. Les métiers que l’on y retrouve emploient des personnes généralement très jeunes, qui n’ont pas forcément beaucoup de diplômes, mais sont recherchées pour des aptitudes qui leurs sont propres. Il existe une culture de société tellement propre aux start-up, que des réflexes se créent entre les employés. Parce qu’ils sont focalisés sur la croissance de leur projet commun, certaines valeurs comme le partage et l’ouverture d’esprit vont se développer. Et puis, le besoin de recruter constamment de nouvelles personnes est tellement important que la discrimination

« Aujourd’hui, les startups sont les plus prémunies face à la discrimination»

n’y a pas sa place. D’autant plus qu’aujourd’hui on ne peut plus mentir aux consommateurs : sur les réseaux sociaux et sur les sites qui permettent de compiler des avis, chacun y va de son opinion. Les idées sont échangées au sein de l’entreprise et en dehors. Là où nous devons encore nous améliorer, c’est sur l’emploi des femmes, qui sont trop peu nombreuses dans les start-up. C’est pour cela que par le biais de campagnes de communication, nous allons à leur rencontre, notamment dans les banlieues. Nous leur expliquons que la discrimination peut se combattre très facilement si l’on se tourne vers des formations professionnalisantes, qui vont mettre en avant leur employabilité. Enfin, je conseille aux personnes victimes de discrimination de suivre certaines formations, qui apprennent à « se vendre» auprès du recruteur, et à transformer leurs différences en points positifs.