Loi Travail : quelle est la portée du mal nommé « droit à la déconnexion » ?

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Source : droit-technologie.orgdroit-technologie.org (06 février 2017)

Depuis le 1er janvier 2017, la « Loi Travail » demande aux entreprises comptant plus de 50 salariés de réfléchir à la mise en place d’un droit de déconnexion des salariés. Puis-je vraiment éteindre mon GSM et arrêter de lire mes mails après 18h30 ? Est-ce une nouvelle usine à gaz ? Un mois après l’entrée en vigueur de la loi, les questions sont plus nombreuses que les réponses.

La loi El Khomri (ou Loi Travail) a été publiée au Journal officiel du 9 août 2016, après sa validation par le Conseil constitutionnel. On se souvient que cette loi a provoqué de multiple remous en France, notamment parce que le Premier ministre Manuel Valls a utilisé à l’époque la procédure de l’article 49-3 de la Constitution permettant de faire adopter le projet de loi par l’Assemblée nationale en 1ère lecture sans vote des députés.

La loi est, pour l’essentiel, entrée en vigueur le 1er janvier 2017.

Une des dispositions en particulier fait couler beaucoup d’encre : le droit à la déconnexion.

Cette disposition, qui vise les entreprises de 50 salariés, leur demande de :

ouvrir des négociations ;
dans le but de mettre en place des dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques ;
pour assurer le respect des temps de repos et de congés.

Ce que la loi ne dit pas

Est-ce un effet de l’ambiance pré-électorale ? On lit beaucoup de choses au sujet de ce nouveau droit … et beaucoup de fantasmes.

Contrairement à ce qu’affirment certains commentaires qui fleurissent sur le Web, la loi ne crée pas un droit absolu à la déconnexion : non, depuis le 1er janvier, les salariés n’ont pas le « droit » de se « déconnecter ».

Bien mal avisé serait le salarié qui déciderait unilatéralement de se déconnecter après 20 heures si ce n’est pas ce que prévoit son contrat, s’il a travaillé différemment jusqu’alors, ou si cette décision est difficilement conciliable avec la nature de son travail.

Lorsque la loi demande aux entreprises « d’ouvrir des négociations », elle s’oppose très clairement aux initiatives unilatérales.

Ce que dit la loi

Deux éléments doivent être retenus :

la loi assigne un objectif : faire en sorte que l’utilisation des outils numériques ne porte pas atteinte au respect des temps de repos et de congés.
La loi désigne le moyen d’arriver à cet objectif : par la négociation.

L’enjeu.

La loi ne va pas faciliter la vie des responsables des ressources humaines. La France devient décidément un pays très régulé en matière de temps de travail. Après les 35 heures qui constituent déjà un casse-tête pour nombre d’entreprises, voilà une nouvelle contrainte que la pratique a décidé de baptiser : le « droit à la déconnexion ».

Pourtant, en dépit des critiques partisanes, on comprend rapidement l’enjeu.

Dans la culture de l’instantanéité et de la mobilité, l’interaction entre le temps de travail et le temps de repos est incessante. Et le cours des choses n’est pas près de s’inverser. Au contraire, la dématérialisation accrue de l’activité économique ne peut qu’augmenter la pression que l’environnement de travail exerce sur le temps privé.

Or, les chiffres là : parmi les causes d’absentéisme et de maladies professionnelles, le burnout, l’épuisement, et de façon générale les maladies liées au psyche prennent une place de plus en plus importante. Et lorsque l’on parle avec les personnes malades qui avaient auparavant une vie professionnelle épanouie, c’est souvent le même constat : l’épuisement provient en partie de l’hyper connectivité, de l’incapacité de prendre de la distance, du sentiment d’urgence permanent lié en partie au recours à des outils de communication live.

Il s’agit donc de :

protéger le salarié contre l’épuisement professionnel en lui assurant un repos effectif ;
protéger l’employeur qui – dans une entreprise de 50 salariés ou plus – n’a pas nécessairement une vue très claire ni très organisée de la façon dont le personnel arbitre l’équilibre entre le dévouement au travail et la nécessité de se reposer au risque de perdre des éléments de valeur ;
protéger la société dans son ensemble contre le coût lié aux épuisements professionnels, qui sont en train de faire exploser le budget de la sécurité sociale.

L’enjeu est donc clair et il n’est pas étonnant, dans cette logique, d’avoir inscrit le mal nommé droit à la déconnexion dans le cadre de « la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail », dont la première mission est de réfléchir à « l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salarié ».

En pratique ?

Si chacun peut comprendre facilement l’enjeu de la loi, tout autre chose et de traduire cela en comportements concrets.

C’est que chaque entreprise est différente, et au sein de celles-ci, chaque fonction présente ses caractéristiques propres.

Vu l’enjeu, on est dans du sur-mesure : telle entreprise, telle fonction, telle personne.

Il est donc extrêmement difficile de créer des règles générales. C’est probablement pour cette raison que le législateur s’est limité à fixer un objectif aux entreprises, et qu’il a expressément choisi la négociation comme moyen d’y parvenir.

L’autre difficulté vient du fait qu’il faut impérativement éviter d’aborder le dossier en partant des abus :

Du côté de l’employeur, il faut éviter de s’asseoir à la table des négociations en ayant à l’esprit l’un ou l’autre employé en particulier, dont on sait très bien que le télétravail du mercredi n’est rien d’autre qu’un alibi pour s’occuper des enfants. À côté de ce cas particulier, il y a aussi dans l’entreprise des tas de personnes qui télétravaillent de façon très efficace.
Du côté de l’employé, il faut éviter de s’asseoir à la table en ayant à l’esprit l’un ou l’autre chef de service en particulier, dont on sait qu’il aime mettre une pression inutile en envoyant des e-mails non-urgents avant de se coucher pour mieux voir le lendemain matin qui a déjà réagit.

C’est en partant de la généralité que des solutions pratiques et constructives pourront être dégagées.

Justement, quelles sont les solutions pratiques ? Les premiers groupes de travail permettent de se faire une idée plus précise des idées qui ont la cote :

Rappels automatisés adressés au personnel quant à la nécessité de respecter les temps de repos et de maladie ;
Création de plages horaires sensibles au cours desquelles celui/celle qui communique avec des collègues ou leur assigne une tache doit pouvoir justifier la raison pour laquelle il communique à ce moment-là ;
Formation des chefs de services et managers ;
Clarification des règles de rédactions des emails (exemple : les destinataires sont ceux de qui on attend une action/réponse, tandis que les personnes en copie reçoivent le mail à titre de simple information ; toujours préciser le sujet ; etc.) ;
Modification des connexions des serveurs mails (réception et envoi des mails deux fois par jour plutôt qu’au fil de l’eau) ;
Traitement différencié selon le niveau de responsabilité de l’employé.

Et en cas d’échec ?

La réponse est à l’article L2242-8 du Code du travail.

« A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. »