Source : latribune.fr (16 juin 2015)
Les opérateurs télécoms vont-ils devenir de simples fournisseurs de tuyaux, ou vont-ils concurrencer les acteurs Internet pour doper leur croissance ? Pour tenter de répondre à cette question, l’Idate, l’observatoire des technologies de l’information et de la communication, publie ce mardi une étude sur les scénarios d’évolution du marché dans le monde.
Dans dix ans, les opérateurs télécoms seront-ils sous le joug des acteurs du Net ? Ou se mueront-ils en « boutiques digitales » multinationales pour les concurrencer sur leurs offres, gages de nouveaux relais de croissance ? Dans son dernier Yearbook consacré aux enjeux du monde numérique, l’Idate a tenté de cerner à quoi pourrait bien ressembler le paysage des télécoms dans dix ans. Pour ce faire, le think thank a pris en compte les dernières évolutions d’un secteur largement bousculé par la révolution digitale et ses nouveaux usages.
C’est peu dire que ce secteur est en ébullition. Jusqu’alors relativement fragmenté sur le Vieux continent et aux Etats-Unis, celui-ci essuie une furieuse vague de consolidation. Besoin de peser plus lourd pour investir et répondre à l’explosion du trafic, volonté de se diversifier dans les contenus, proposer des offres « tout en un » (Internet, télévision, téléphonie fixe et mobile) pour fidéliser ses clients… Quelles que soient les stratégies des opérateurs, les fusions et rapprochements montrent que le secteur tente de faire peau neuve pour conserver son rang et sa vitalité. Sachant qu’en parallèle d’une féroce concurrence interne, il fait face à la menace et à la fringale en bande passante des nouveaux géants de l’Internet. Parmi eux, on trouve notamment les GAFA américains (Google Apple, Facebook et Amazon) ou les acteurs OTT (pour over-the-top), comme le spécialiste de la vidéos à la demande Netflix).
Dans ce contexte, les experts de l’Idate ont envisagé trois scénarios pour le secteur à horizon 2025 :
Le scénario noir de la « commoditisation » (ou « marchandisation »)
C’est le pire cas de figure pour les opérateurs télécoms. Ici, « les acteurs de l’Internet s’imposent en contrôlant la distribution des offres […] et en achetant de la connectivité en gros aux opérateurs, souligne l’Idate. Dans ce modèle, l’opérateur est relégué au rang de ‘grossiste’ avec le risque que, la concurrence aidant, les marges restent très faibles. » Pis, « les opérateurs mobiles perdent le contrôle de la carte SIM. On observe un ralentissement des investissements télécoms et une extension de l’emprise des grandes plateformes de l’Internet sur l’écosystème télécom. » En d’autres termes, les acteurs ne seraient plus que des « fournisseurs de tuyaux ». Pour Didier Pouillot, de l’Idate, « c’est comme si le groupe Accor restait coincé sur ses métier traditionnel d’hôtel et de restauration », et se faisait damer le pion par des acteurs comme Booking ou Airbnb.
Le scénario de la « connectivité enrichie » )
Dans cette possibilité, les opérateurs ne ferraillent toujours pas directement avec les fournisseurs de services et d’applis Internet. « Ils peuvent continuer à facturer eux-mêmes la connectivité à leurs clients. Mais ils ont, grâce aux investissements dans leur réseau, transformé celui-ci en une plateforme d’intermédiation très attractive pour les grands et surtout petits et moyens acteurs innovants de l’Internet », explique le rapport de l’Idate. Concrètement, « outre la qualité du réseau offerte pour accéder à leurs clientèles résidentielles et professionnelle, les fournisseurs d’applications y trouvent des offres de services performantes », comme des accès au cloud, des systèmes de facturation, de localisation, ou des solutions de ciblage publicitaire.
Le scénario de la « boutique numérique » )
Bon nombre d’acteurs rêvent de se transformer de la sorte. Ici, de « puissants opérateurs, souvent multinationaux […] s’appuient sur la taille de leur parc d’abonnés pour assurer par eux-mêmes la distribution la plus large des nouveaux services et applications numériques (développés ou non par eux-mêmes) », souligne l’Idate.
Dans ce cas-là, ils bataillent souvent frontalement avec « les grandes plateformes de l’Internet », ou avec « les petits et moyens innovateurs ». « Ils interviennent de tout leur poids des domaines aussi variés que la vidéo, la finance, la santé, l’énergie, la sécurité, l’éducation, l’aménagement urbain, les transports… »
Ce troisième et dernier scénario est bien sûr le plus favorable pour les opérateurs. Pour l’Idate, leurs revenus pourraient ainsi passer de plus de 1.100 milliards d’euros au niveau mondial en 2014, à plus de 1.900 milliards d’ici à 2025. Les regroupements et acquisitions récentes montrent que les opérateurs souhaitent logiquement s’orienter dans cette voie. A la mi-mai, Verizon a ainsi racheté AOL pour 4,4 milliards d’euros. Pour le deuxième opérateur de télécommunication américain, l’objectif est clair : cette acquisition doit lui permettre de se renforcer dans la vidéo, tout en récupérant une partie de la manne publicitaire sur Internet.
En outre, selon l’Idate, ce scénario plaide finalement pour une consolidation du secteur, avec des acteurs plus gros qu’à l’heure actuelle. Lors de la présentation du rapport, Stéphane Richard, le patron d’Orange, en a ainsi profité pour appeler une nouvelle fois à la concentration. « Nous allons vers des regroupements européens ; le sens de l’histoire, c’est de voir émerger trois ou quatre grands projets européens », a-t-il lâché. Pas sûr, toutefois, que Bruxelles y soit favorable
Ce lundi, Margrethe Vestager a affiché sa préoccupation face à la multiplication des fusions dans le secteur des télécoms. D’après la commissaire européenne à la Concurrence, « il y a de nombreux exemples où une consolidation excessive débouche sur une moindre concurrence, un renchérissement des factures payées par les consommateurs et une moindre innovation », a-t-elle insisté. L’avenir des télécoms va, à n’en point douter, continuer à animer les débats