« L’ubérisation est en train de redéfinir la fonction RH »

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Source : focusrh.com (06 février 2017)

Né d’une réflexion conjointe du professeur d’économie Gilbert Cette, et de l’avocat Jacques Barthélémy, l’ouvrage « Travailler au XXIème siècle-L’ubérisation de l’économie ? »* analyse l’impact de l’évolution numérique sur le droit du travail et, plus largement, sur notre société.

Comment la fonction RH peut-elle se réinventer dans ce nouveau cadre ? Les réponses de Jacques Barthélémy, fondateur et avocat associé du cabinet Barthélémy Avocats, ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier.

Comment la technologie a-t-elle fait évoluer le droit ?

Le travail au XXIè siècle est fondamentalement différent de celui du XXè : il a été secoué par de nombreuses révolutions technologiques, la dernière étant l’avènement du numérique, évolution irréversible. L’ubérisation peut être considérée comme un avatar de la civilisation du savoir, qui se construit à partir de l’évolution numérique. Si les évolutions technologiques ont affecté l’emploi à chaque révolution industrielle en supprimant certaines activités, elles ont aussi contribué à l’émergence d nouvelles fonctions, activités et conditions de travail.

En sera-t-il de même aujourd’hui ?

Oui, mais la présente révolution technologique est d’une telle ampleur qu’elle modifie l’essence même de la vie au travail. L’unité de temps, de lieu et d’action qui rythme l’entreprise industrielle va voler en éclat, le numérique bouleversant à la fois l’activité professionnelle et celle personnelle dès lors que ses instruments servent aussi bien les vies privée et professionnelle. Toute la question est de savoir comment empêcher que cette révolution technologique, qui favorise l’indépendance et est à ce titre au service des libertés, n’empiète sur elles par d’autres éléments de subordinations rendant inacceptables les conditions de travail conçues au nom des intérêts économiques.

Faut-il alors repenser le cadre juridique ?

Né par et pour la civilisation de l’usine et ses modes d’organisation, le droit du travail sera bouleversé par la civilisation du savoir née des nouvelles technologies du numérique et de la robotique. Ces progrès créent une forme de fracture entre salariés et indépendants, les premiers étant plus autonomes et bénéficiant d’une rémunération liée à leur mission, alors que les seconds sont rémunérés à la tâche. Le cadre nouveau des rapports de travail oblige à dépasser, pour décliner la fonction protectrice du droit, la seule subordination juridique. S’il y a dépendance économique du travailleur à l’égard du donneur d’ordre, il est nécessaire d’avoir un cadre protecteur, notamment lorsqu’un patron enjoint ses collaborateurs de travailler en qualité de travailleur non salarié, comme c’est le cas dans l’économie ubérisée. Il faut donc mettre en place un cadre juridique qui permette de dépasser les solutions fondant la protection sur l’appartenance à une catégorie, et de distinguer les niveaux de protection en fonction du degré d’autonomie.

Comment l’imaginez-vous ?

Il s’agit d’un droit regroupant tous les travailleurs, bâti sur un socle de droits fondamentaux et conçu autour de trois piliers : protection sociale, droits collectifs et droits individuels. S’y ajouteront des couches de protection supplémentaires selon le degré d’autonomie, non pas relatives au « statut » mais au positionnement individuel.

Dans ce contexte, quel avenir pour la fonction RH ?

Si l’on considère que la fonction RH est liée à la gestion et la promotion du « patrimoine humain », élément du patrimoine immatériel de l’entreprise, son rôle sera accru du fait de la diversité des situations de droit. Dans cette perspective, il est essentiel de cultiver l’approche organisationnelle du droit social pour en faire un instrument d’adaptation des normes au contexte dans lequel elles sont invitées à prospérer, mais aussi de gestion préventive des risques.

Comment ?

Plus il y aura d’autonomie dans la construction d’un cadre juridique adapté, plus le DRH devra être créatif. Sans inventivité, la fonction RH risque de perdre sa substance car les normes d’essence légale vont diminuer au bénéfice de celles d’essence contractuelle. Compte tenu des techniques du numérique, l’organisation du travail va changer, les contrats de travail également, ainsi que l’opposition entre salarié et indépendant. Cela oblige à prendre en considération les rapports entre donneur d’ordre et travailleur (surtout s’il est dépendant économiquement), et pas seulement entre employeur et salarié. Tout le travail du DRH consistera à favoriser l‘épanouissement des droits fondamentaux humains (dignité, justice, égalité…), dont les libertés individuelles, en en faisant un instrument de l’efficacité économique et en donnant du sens au concept de patrimoine humain de l’entreprise.

A défaut, que se passerait-il ?

La pire position, pour un DRH, serait de se contenter de gérer administrativement les contraintes juridiques, légales et conventionnelles, sans créer de valeur ajoutée.

Propos recueillis par Frédérique Guénot

* »Travailler au XXIè siècle – l’ubérisation de l’économie ? » par Jacques Barthélémy et Gilbert Cette est paru le 4 janvier 2017 aux éditions Odile Jacob. Ce livre a été écrit en partenariat avec l’Institut de l’Entreprise et le think tank Terra Nova.