Moins de recours aux prud’hommes, un effet de la réforme du code du travail ?

Revue de Presse

Publiées il y a un an, presque jour pour jour, les ordonnances réécrivant le code du travail ont contribué à faire baisser le nombre de contentieux portés devant les conseils de prud’hommes. C’est l’analyse qu’a défendue l’entourage de Muriel Pénicaud, la ministre du travail, lors d’une rencontre informelle avec des journalistes, lundi 10 septembre  : grâce à la réforme de 2017, salariés et employeurs seraient désormais beaucoup plus enclins à régler leur différend par le biais d’une négociation, sans passer par la justice.

Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont instauré un barème qui plafonne les indemnités prud’homales en cas de licenciement «  sans cause réelle et sérieuse » – c’est-à-dire quand un patron se sépare d’un de ses collaborateurs en violant la loi. L’objectif de cette mesure était de «  sécuriser la relation de travail » et de dissiper «  la peur de l’embauche » que des entreprises ressentent face à l’éventualité d’un différend avec un membre du personnel. En mettant en place une grille de dommages-intérêts applicable à tous les licenciements contestés (sauf dans certains cas tels que la discrimination ou le harcèlement), le gouvernement voulait pousser les parties en présence à conclure un accord, en amont des juridictions.

« Avec le barème, chacun connaît les limites »

Pari gagné, se réjouit aujourd’hui le ministère du travail, en mentionnant le recul du nombre de demandes adressées aux prud’hommes  : – 15 % entre 2016 et 2017. Ce chiffre va «  complètement dans le sens des remontées que l’on a, que ce soit des chefs d’entreprise, des syndicats, des cabinets d’avocats, des cabinets de conseil », assure-t-on dans l’entourage de Mme Pénicaud. Salariés et employeurs «  discutent beaucoup plus, voire systématiquement, en cas de conflit », ajoute-t-on.

Un point de vue partagé par Jean-Paul Charlez, président de l’Association nationale des DRH, qui évoque une «  déjudiciarisation » des rapports au sein des entreprises. «  Avec le barème, chacun connaît les limites de l’exercice », observe-t-il. Du coup, les protagonistes «  préfèrent s’entendre » sur le montant du dédommagement «  plutôt que de partir aux prud’hommes ». «  Au quotidien, on constate qu’une grille, restreignant la fourchette de l’indemnisation possible, pousse le salarié et l’employeur à discuter », confie Me Claire Toumieux, avocate spécialiste en droit social au cabinet Allen & Overy.

Plusieurs bémols s’imposent cependant. Les ordonnances ayant été promulguées fin septembre 2017, le barème ne s’est appliqué que durant un peu plus de trois mois, comme le reconnaît le ministère du travail. Difficile, dans ce contexte, d’imaginer que les nouvelles règles aient eu une incidence massive sur le flux de dossiers transmis en 2017 aux prud’hommes. Une «  évaluation » sera conduite pour y voir plus clair, précise l’entourage de Mme Pénicaud.

Tendance accentuée

En outre, le reflux des contentieux ne date pas d’hier (Le Monde du 31 janvier). Il s’est enclenché quelque temps après la création, en 2008, de la rupture conventionnelle. Cette procédure, qui permet à un patron et à un salarié de rompre le contrat de travail d’un commun accord – en principe – est de plus en plus utilisée, atteignant un niveau record en 2017 (environ 420 000) et réduisant la probabilité de recours en justice.

La tendance a été accompagnée par un autre événement  : la loi Macron d’août 2015, qui a changé les modalités pour saisir les prud’hommes. Ce texte a «  introduit plus de formalisme », rapporte Me Toumieux  : «  Les demandeurs ont été obligés de communiquer des pièces qu’ils ne devaient pas fournir auparavant, ce qui en a dissuadé beaucoup d’agir. » «  Il est trop tôt pour dire si la baisse en 2017 du nombre d’affaires devant les prud’hommes est liée à l’instauration du barème, mais il est plus que probable que les ordonnances de 2017 vont accentuer la diminution que l’on observe depuis plusieurs années, estime Pascal Lokiec, professeur à l’école de droit de la Sorbonne. Il n’y a pas lieu de s’en féliciter  : le législateur a sciemment mis en place un système fait pour décourager les salariés à aller en justice et qui empêchera les juridictions de réparer intégralement le préjudice subi par ceux-ci. »

Me Judith Krivine, du Syndicat des avocats de France (SAF), est du même avis  : pour elle, les ordonnances s’inscrivent dans le prolongement de textes législatifs antérieurs qui réduisent l’accès aux prud’hommes. «  Elles ne donnent aucun levier de négociation aux salariés », considère-t-elle, puisque l’employeur propose un dédommagement, calé sur le barème, qui est à prendre ou à laisser.

Source :   lemonde.fr(11 septembre 2018)