« La régulation des télécoms doit s’étendre aux terminaux » (Sébastien Soriano)

Revue de Presse

Pour Sébastien Soriano, le secteur des télécoms ‘peut fonctionner avec quatre opérateurs’. Si un projet de rachat devait voir le jour, responsable affirme que l’Arcep n’apportera sa caution ‘qu’à un projet qui serait gagnant pour le pays et pour les Français’. ‘Nous ne voulons pas d’un simple partage de gâteau entre milliardaires’, insiste-t-il. (Crédits : Sipa) Président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), le régulateur des télécoms, Sébastien Soriano propose au gouvernement d’étendre les pouvoirs de son institution aux smartphones et autres objets connectés. Il s’agit, selon lui, d’une prolongation logique de son nouveau rôle de gardien de la neutralité du Net. Dans nos colonnes, le responsable revient également sur plusieurs sujets chauds : la possibilité d’une consolidation du marché français des télécoms, celle d’une fusion entre l’Arcep et le CSA, et l’arrivée de la 5G.

1000000000000264000001320722f06b1b9acb65.jpgPour Sébastien Soriano, le secteur des télécoms peut fonctionner avec quatre opérateurs. Si un projet de rachat devait voir le jour, responsable affirme que l’Arcep n’apportera sa caution qu’à un projet qui serait gagnant pour le pays et pour les Français. Nous ne voulons pas d’un simple partage de gâteau entre milliardaires, insiste-t-il.

LA TRIBUNE – Outre les télécoms, vos déclarations concernent très souvent la puissance et l’essor des géants du Net. Est-ce parce que les enjeux du numérique sont devenus beaucoup plus essentiels et posent des questions de souveraineté ?

SÉBASTIEN SORIANO – Effectivement. L’Arcep étant de plus en plus immergée dans le bain du numérique – notamment à travers son nouveau rôle de gardien de la neutralité du Net -, elle voit ce qui se passe. Elle voit intimement l’évolution des marchés et la montée en puissance des géants du Net. Or, cela relativise quelque peu le pouvoir des opérateurs que nous régulons. D’où la nécessité d’avoir une vision beaucoup plus large et moins centrée sur les télécoms. Autrement dit, je me sentirais mal à l’aise d’être le gardien de la neutralité du Net, qui impose aux opérateurs des contraintes et garantit à tous les acteurs du Net un accès à leurs infrastructures, sans évoquer, en parallèle, le problème de la domination des «  big tech ». Il y a, à ce sujet, de nouvelles régulations à inventer.

La domination des Gafa en Europe doit-elle vous conduire à vous montrer plus agressif envers eux  ? Ou, en d’autres termes, à aider les grands opérateurs à davantage tirer leur épingle du jeu ?

Je n’irai pas jusque-là. D’ailleurs, la neutralité du Net tend à limiter la capacité de négociation des opérateurs vis-à-vis des géants du Net. Elle leur retire un pouvoir de chantage, du type   : «  Si vous me traitez mal, j’abîme vos services sur le réseau. » Mon rôle n’est pas de donner un coup de main aux opérateurs. En revanche, j’estime que nous devons réfléchir à la manière dont on peut challenger ces acteurs du Net. Aujourd’hui, ils ont un pouvoir immense et sont soumis à un contrôle extrêmement limité. Il manque, à mes yeux, une régulation de type infrastructure, un peu comme dans les télécoms, le rail ou l’énergie, mais en prenant en compte les particularités nouvelles. Voilà pourquoi je me félicite que Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au Numérique, ait récemment lancé des états généraux pour réfléchir aux nouvelles régulations à l’heure du digital. C’est peut être le signe d’une prise de conscience qu’il y a un problème systémique avec les géants du Net. Aujourd’hui, ils écrasent tout sur leur passage.

À l’issue de ces états généraux, l’Arcep pourrait-elle se voir investir de nouveaux pouvoirs ?

Nous faisons à l’Arcep une proposition ciblée, issue d’un travail approfondi   : réguler les terminaux, qu’il s’agisse des smartphones et autres objets connectés (les enceintes, les téléviseurs ou les voitures). Nous proposons une extension de la régulation des télécoms, qui se situe dans le prolongement de notre rôle de gardien de la neutralité du Net. Pourquoi  ? Parce que c’est que c’est bien beau d’avoir la neutralité des tuyaux, mais à quoi sert-elle si on ne s’intéresse pas aux robinets que sont les terminaux en bout de ligne ? Or, à ce niveau, de nouveaux intermédiaires, très puissants, ont pris le pouvoir et imposent de nombreuses restrictions aux consommateurs [c’est le cas, par exemple, d’Apple, qui décide, à travers son Apple Store, quelles applications ses clients peuvent – ou non – utiliser, ndlr]. J’ai présenté le problème au gouvernement. C’est maintenant au politique de se l’approprier, et de prendre une décision.

Beaucoup s’interrogent sur la viabilité d’un marché français à quatre opérateurs et se demandent si une consolidation n’est pas nécessaire. Après les difficultés de Bouygues Telecom il y a deux ans, celles de SFR l’an dernier, c’est maintenant Free qui perd des clients. En d’autres termes, depuis l’arrivée de Free Mobile en 2012, il y a toujours un «  homme malade » sur le marché français des télécoms. Qu’en pensez-vous ?

Je voudrais commencer par rebondir sur les propos de Stéphane Richard, le Pdg d’Orange, qui a récemment jugé «  inéluctable » [ «  inévitable », en fait] une consolidation sur le marché français. Je ne suis pas d’accord avec lui. Structurellement, le secteur peut fonctionner à quatre. Il n’y a aucune impossibilité. Ce qui tend le marché aujourd’hui, c’est une guerre des prix. Mais cette bataille, c’est bien les opérateurs qui l’ont choisie… C’est leur décision. Et c’est cette situation qui leur fait dire, maintenant, que les investissements que le gouvernement et l’Arcep les poussent à faire ne sont plus soutenables ! Or, depuis mon arrivée, nous ne leur avons jamais dit que leurs prix étaient trop élevés.

Mais c’est pourtant bien pour faire baisser les prix que le gouvernement a permis l’arrivée de Free, en 2012, en tant que quatrième opérateur…

Oui, mais il y a une différence entre faire baisser les prix pour réduire une rente et une guerre de prix qui peut casser le marché. On peut, en outre, s’interroger   : est-ce que cette guerre des prix ne vise pas à faire trébucher un maillon faible pour pousser à une consolidation ? Il y a un aspect potentiellement stratégique dans ce que nous observons sur ce marché, avec un effet possiblement autoréalisateur. Et je partage l’opinion des secrétaires d’État Delphine Gény-Stephann et Mounir Mahjoubi, qui estiment que les pouvoirs publics n’ont pas à désirer une consolidation.

Vous avez pourtant, lors d’une conférence de presse au mois de mai, jugé que l’Arcep n’était plus opposée à un retour à trois opérateurs…

Si j’ai entrouvert la porte à une consolidation, c’est parce que je ne peux pas, vis-à-vis du secteur, exiger le beurre et l’argent du beurre. Quand j’ai pris la présidence de l’Arcep, j’ai demandé aux opérateurs d’investir massivement dans la fibre, dans la 4G. À mes yeux, il était temps qu’ils se recentrent sur leur métier plutôt que de se regarder le nombril pour savoir qui va croquer qui. Ils ont répondu de manière très forte à mon appel, puisque leurs investissements ont augmenté de 37% en trois ans. Dans ce contexte, je ne pouvais plus être fermé, par principe, à une consolidation. Pour autant, cela ne veut certainement pas dire que j’y suis favorable, et encore moins demandeur. Ne comptez pas sur moi pour applaudir n’importe quel projet de consolidation qui pourrait surgir… Une réduction du nombre d’acteurs, cela peut être néfaste. C’est pourquoi une telle opération nécessite toujours l’aval de l’Autorité de la concurrence. L’Arcep, en tant que régulateur du secteur, entend jouer un rôle d’autorité morale pour apprécier ce qui pourrait se passer. Mais nous n’apporterons notre caution qu’à un projet qui serait gagnant pour le pays et pour les Français. Nous ne voulons pas d’un simple partage de gâteau entre milliardaires.

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10000000000001cc0000013374b489280f2f8c8f.jpgSébastien Soriano, président de l’Arcep

Lors des voeux de l’Arcep à la Sorbonne, le 17 janvier dernier, Sébastien Soriano était accompagné des dirigeants des grands opérateurs : Olivier Roussat (Bouygues Telecom), Stéphane Richard (Orange), Alain Weill (SFR) et Xavier Niel (Iliad). Crédit : Reuters.

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Certains jugent que la fin de votre opposition à une consolidation vise, en réalité, à sauver Free, qui est le «  bébé » de l’Arcep. Qu’en dites-vous ?

Je me suis exprimé indépendamment de la situation de cet opérateur. Je rappelle que cette conférence de presse, qui intervient chaque année à la même date, vise d’abord à dévoiler le montant annuel des investissements du secteur, qui sont un peu le totem de mon action dans les télécoms. Un autre élément   : j’estime avoir prouvé que l’Arcep savait être ferme avec tous les acteurs, et qu’elle n’hésitait pas, au besoin, à les contrarier. Souvenez-vous de notre action pour mettre progressivement un terme au contrat d’itinérance entre Free et Orange [qui permet au premier d’utiliser le réseau mobile du second]… Je me souviens aussi d’un «  ça suffit, l’Arcep ! » de Martin Bouygues après une mise en demeure sur la couverture 4G de Bouygues Telecom. Ou encore d’un «  c’est complètement débile ! » de Stéphane Richard, en réaction à ma volonté de s’attaquer aux derniers bastions de monopole d’Orange. Michel Combes [l’ancien patron de SFR] n’était pas non plus particulièrement content et élogieux vis-à-vis de l’Arcep quand il a été sommé d’arrêter de vendre du câble en utilisant le mot «  fibre ». Je revendique haut et fort que l’Arcep est un arbitre neutre qui agit dans l’intérêt des Français de manière constante. À chacun de se faire son opinion.

Aujourd’hui, vous présentez un rapport du Berec, l’organe des régulateurs européens, qui a passé au crible des consolidations en Allemagne, en Autriche et en Irlande. Quelles sont ses conclusions ?

En premier lieu, je tiens à préciser ce qui a motivé cette étude. Depuis le début des années 2010, nous entendons une petite musique à Bruxelles. Certains affirment que si le secteur des télécoms européennes est faible, c’est parce qu’il est trop éclaté. Il y aurait beaucoup trop d’acteurs, ce qui pèserait, in fine, sur les investissements. Pour relancer le marché, il n’y aurait ainsi d’autre choix que de le consolider. Ceux qui défendent cette ligne brandissent le cas des États-Unis. Ils arguent qu’il n’y aurait que trois ou quatre opérateurs – ce qui est faux car il y a de très nombreux acteurs locaux -, et que l’on y consacre plus d’argent aux infrastructures. Mais s’il est vrai que le Vieux Continent dépense moins d’argent pour déployer les réseaux, beaucoup d’études montrent que l’investissement américain est inefficace parce qu’il y a des duplications d’infrastructures de manière massive. Alors qu’a contrario le modèle européen pousse les opérateurs à partager les investissements et les infrastructures quand c’est possible. Au Berec, que je présidais l’an dernier, nous étions un peu échaudés par ces raisonnements simplistes. Voilà pourquoi, nous avons voulu étudier, de manière sérieuse et objective, l’impact de différentes fusions.

Qu’en est-il ?

Ce rapport démontre qu’à court terme les fusions ont généralement des effets négatifs. Les prix montent et la qualité de service se dégrade souvent. Pourquoi  ? Parce qu’au moment de la fusion il peut y avoir un peu de flottement dans la conduite des entreprises. En France, c’est ce qu’on a connu lors de la vente de SFR en 2014 [l’opérateur au carré rouge a un temps cessé d’investir, ce qui a dégradé le réseau]. En revanche, à moyen terme, les situations sont plus contrastées. Nous constatons parfois des baisses de prix. Et dans certains cas, les augmentations de prix initiales peuvent disparaître, notamment avec des remèdes de type MVNO [c’est-à-dire le lancement d’opérateurs qui ne disposent pas de leurs propres réseaux]. L’investissement peut aussi gagner en efficience et doper la qualité de service : comme il y a moins d’acteurs, chaque euro dépensé a plus d’effet car il y a moins de redondance. Mais en clair, il n’y a pas de recette miracle : tout dépend de la situation de marché et des contreparties consenties par les acteurs concernés… C’est du cas par cas !

En France, quel serait le projet gagnant ? Ces derniers mois, le marché évoque souvent la possibilité d’un rapprochement entre SFR et Bouygues…

Je ne veux pas me prononcer à ce sujet. Surtout, je pense que les opérateurs français pourraient avoir une responsabilité plus forte dans l’écosystème numérique national. Il existe de nombreux modèles d’engagement. Il y a, par exemple, le modèle de Softbank, le géant japonais des télécoms et des nouvelles technologies. Son objectif est de maîtriser, grâce à des investissements ciblés (dans les microprocesseurs, des processeurs graphiques ou encore des constellations de satellites), l’ensemble des briques de la révolution numérique. Un autre modèle, qu’on voit se dessiner aux États-Unis, est lié à l’arrivée de la 5G, la prochaine génération de communication mobile. De fait, la 5G va accoucher d’un changement de business model chez les opérateurs. Il ne s’agira plus seulement de vendre des forfaits aux particuliers, mais d’apporter aussi des briques de connectivité sur mesure aux acteurs de la ville intelligente, de l’industrie 4.0 ou de la voiture autonome. C’est ce type d’immersion, plus profonde, des opérateurs dans l’écosystème numérique qui peut nécessiter, pour aller plus vite, la recherche d’une masse critique.

Ces derniers mois, pour sortir des difficultés, Free n’a pas hésité à augmenter ses prix. Ne craignez-vous pas que le  «  maverick » se normalise et devienne un opérateur comme les autres ?

Il m’est difficile d’entrer dans le commentaire de la stratégie d’un acteur. On peut penser qu’Iliad a plutôt apporté une correction à une situation particulière que remis en cause son modèle.

Est-il nécessaire d’avoir toujours un acteur qui joue ce rôle de  «  maverick » ?

Je ne veux pas être déterministe là-dessus. Mais il y a une étude intéressante de l’Ofcom, le régulateur britannique, à ce sujet. Elle montre qu’il y a un bénéfice évident pour le marché à avoir un acteur un peu franc-tireur.

La France et l’Europe ont longtemps pâti d’un retard dans la 4G. En matière de 5G, sommes-nous, une fois encore, en retard ?

Il est trop tôt pour le dire. Aujourd’hui, il n’y a pas de service qui tourne en 5G autrement que de manière expérimentale. Mais on peut se demander si l’Europe est bien préparée pour la lancer lorsque la technologie sera disponible. Je dois dire que, à ce sujet, je suis impressionné par la mobilisation très forte de la Chine et des États-Unis, qui misent sur la 5G pour entraîner une numérisation massive de leurs pays. Dans l’Union européenne, il y a eu une vraie prise de conscience politique par le commissaire [à l’économie et à la société numérique] Günther Oettinger au début de son mandat, en 2015. Ensuite, nous sommes un peu retombés dans les travers de l’Union européenne. Au bout du compte, le code européen des télécoms, cette grande réforme qui a été adoptée l’année dernière, est un texte de compromis. S’il pose les échéances du développement de la 5G, le consensus européen n’a pas voulu entamer la souveraineté des États pour organiser les attributions des nouvelles fréquences [essentielles pour le déploiement de toute technologie mobile]. Résultat, les approches sont très contrastées au sein de l’Union européenne. Il est regrettable qu’il n’y ait pas de front uni sur la 5G.

N’y a-t-il pas, alors, une contradiction entre la volonté de Bruxelles de rattraper les États-Unis dans le numérique et son manque d’efforts pour faire l’Europe de la 5G ?

L’avenir le dira. La 5G sera un saut technologique. Il est certain que ce sera un facteur de compétitivité essentiel pour l’attractivité des capitaux, des talents… Pour l’Europe, il y a donc, à mes yeux, un risque évident de déclassement.

En France, serons-nous au rendez-vous ?

Je me félicite d’abord que le gouvernement ait adopté récemment, avec l’Arcep, une feuille de route sur la 5G. Cela nous permet de nous inscrire dans le calendrier européen. De notre côté, nous allons lancer une consultation au mois d’octobre pour définir les modalités d’attribution des fréquences 5G aux opérateurs. L’appel d’offres pourrait avoir lieu dans environ un an, à la mi-2019. La France, de ce point de vue-là, se situerait dans un calendrier proche de celui de ses voisins européens.

Cherchez-vous, en nous précisant cette échéance de mi-2019, à mettre la pression sur les opérateurs ?

Ce qui m’importe, c’est d’abord de donner de la visibilité aux acteurs. Ce n’est pas le calendrier des opérateurs qui s’imposera aux pouvoirs publics. Peut-être que certains d’entre eux ne sont pas très pressés de lancer la 5G… Mais ça, c’est leur problème, c’est leur stratégie. Le pays, lui, doit se doter d’infrastructures car il y a des enjeux de compétitivité majeurs. J’invite donc les opérateurs à se mobiliser pour être au rendez-vous de la 5G. Aujourd’hui, certains n’ont d’yeux que pour la consolidation… Or le bon chiffre dont il faut discuter, ce n’est pas trois ou quatre, mais cinq, comme 5G !

Il y a peu, vous avez indirectement relancé le débat sur une possible fusion entre l’Arcep et le Conseil supérieur de l’audiovisuel [le CSA, qui régule les contenus] en pointant l’essor de la télévision par IP, à travers les box des opérateurs, aux dépens de la TNT…

Mon intervention ne visait certainement pas à critiquer le modèle de régulation de l’audiovisuel. Sur le fond, je pose une question  : comment faire en sorte que le modèle français de l’exception culturelle puisse perdurer dans le grand bain du numérique  ? Sous ce prisme, j’ai alerté sur les limites d’une vision qui serait uniquement centrée sur la TNT, en perte de vitesse et qui pourrait ne plus être utilisée à horizon de quinze ans. Il faut trouver de nouvelles voies. C’est pourquoi, cette semaine, j’ai fait part à Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, de la proposition de l’Arcep d’étendre sa régulation aux écrans connectés pour garantir la diffusion numérique des chaînes. Voilà tout. Mais je sais qu’à partir du moment où je parle certains imaginent que c’est le grand ogre des télécoms qui veut manger l’audiovisuel… Ce n’est pas mon propos.

Mais êtes-vous pour ou contre une fusion entre l’Arcep et le CSA ?

À l’heure où la révolution numérique rebat les cartes dans tous les domaines, il ne faut évidemment pas être fermé. Je ne dis donc pas qu’il faut impérativement garder les institutions telles qu’elles sont, et que toute fusion n’a pas de sens. Je ne serai pas dans cette position conservatrice. Maintenant, c’est au politique de définir les objectifs poursuivis. S’il y a un projet, je m’exprimerai en tant que président de l’Arcep. Je dirai si cela me semble une bonne ou une mauvaise idée, et comment procéder au mieux le cas échéant. Mais, j’insiste, ce n’est pas à moi de promouvoir un modèle, et de plaider pour une fusion des régulateurs des télécoms et des contenus.

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Un gendarme des télécoms accro aux micros

Depuis son arrivée à la tête de l’Arcep, en 2015, Sébastien Soriano multiplie les interventions dans les médias. Parmi les sujets favoris du président du gendarme des télécoms, il y a le serpent de mer de la consolidation du secteur, la montée en puissance des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple), ou encore la couverture des «  zones blanches » (ces territoires où le mobile ne passe pas). Sa manière de faire tranche avec celle de son prédécesseur, Jean-Ludovic Silicani, dont la parole était rare. À 43 ans, Sébastien Soriano voit dans les médias et  «  la prise à partie de l’opinion » une arme complémentaire aux outils juridiques dont il dispose afin d’ «  imposer [sa] vision aux acteurs ».

En clair, cette forte présence de l’Arcep dans les débats liés aux télécoms et au numérique  «  fait partie d’une stratégie d’autorité ». À l’en croire, son institution en a besoin pour peser face à  «  la puissance » et à  «  la force de frappe » des Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free.  «  Je rappelle souvent que les dépenses de communication accumulées des quatre principaux opérateurs avoisinent le milliard d’euros par an, affirme Sébastien Soriano. Le budget annuel de l’Arcep, c’est 20 millions d’euros… »

Si l’Arcep communique autant, c’est aussi, juge-t-il,  «  parce que nous avons changé d’époque ». «  Initialement, à l’Arcep, nous étions essentiellement dans un bras de fer avec le monopole historique, France Télécom [Orange aujourd’hui, ndlr], dont la force première était son attachement à l’État. C’était cette dialectique qui forgeait notre manière d’intervenir dans le débat. Nous sommes maintenant dans un paysage beaucoup plus équilibré entre les grands acteurs. Et au fond, le risque pour le régulateur, c’est de devenir le notaire de leurs petits différends. Pour y échapper, il est nécessaire d’aller vraiment vers les Français, et de peser dans le débat public face à ces acteurs. »

Reste que ses déclarations sont loin de toujours plaire aux opérateurs. Ils estiment  souvent que le régulateur a tendance à mettre son nez dans des affaires qui ne le regardent pas. Des critiques récurrentes… qui ne sont pas près de cesser.

Source :   Lesechos.fr12 septembre 2018)