Intervention de Luc Bérille au Conseil National de la Transition Écologique à l’Hôtel Matignon le 30 novembre 2018

Revue de Presse

Monsieur le Premier ministre, Madame et Monsieur les ministres, cher·e·s collègues,

Je ne peux aborder les questions que nous devons traiter ici sans dire un mot de la crise sociale que traverse le pays et qui apparaît aujourd’hui au grand jour à travers le mouvement des gilets jaunes.

Je vais utiliser des mots un peu forts mais avec l’humilité d’un responsable syndical qui sait bien que ce mouvement s’est développé hors du syndicalisme et même parfois volontairement hors du syndicalisme.

C’est aujourd’hui un trop plein qui se déverse, trop plein de déconnexion de la réalité des conditions de vie de millions de nos concitoyens confrontés à la vie chère, mais aussi trop plein de mépris, de relégation et d’ignorance, trop plein de suffisance.

L’UNSA vous avait alerté, comme d’autres, sur l’ampleur de la fracture sociale, dès le début du quinquennat. Nous avions demandé dès juillet, mais cette fois bien seuls, d’inscrire la négociation de la transition écologique à l’agenda social. En vain.

C’est précisément pour cette raison de signaux accumulés sans effets, d’absence d’écoute et de reconnaissance, que le mouvement d’aujourd’hui s’accompagne d’un profond sentiment de défiance, voire de rejet.

Il ne date pas d’aujourd’hui, bien sûr, mais il a été ravivé par l’accumulation de mesures perçues comme socialement injustes et c’était ainsi que l’UNSA les avait qualifiées, car faisant porter sur la masse, et, parmi elle, y compris les plus démunis, le prix d’un allègement fiscal et de libertés nouvelles accordées aux plus nantis.

Ce phénomène de défiance et de rejet ne peut être occulté car il est devenu un frein, et un frein pour tout, y compris pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Le Président de la République a annoncé, mardi, le lancement d’un vaste processus de concertation sur la mise en œuvre des axes de la transition écologique et nous allons répondre à la question posée. Trois mois, ça peut être très court pour cela.

Mais je voudrais dire ici, au nom de l’UNSA, que, pour beaucoup de nos concitoyens dont l’échelle de subsistance et de résolutions de difficultés souvent inextricables est à l’aune de la semaine ou du jour, trois mois sonne aussi comme une fin de non-recevoir, au risque de creuser un peu plus encore la défiance et le rejet, y compris, et c’est grave, du travail que nous pourrons ensemble produire sur la question fondamentale de la transition écologique.

Face à cela, Il faut des mesures sociales immédiates nouvelles touchant le pouvoir d’achat. Il n’y a pas d’autre moyen, non pas pour combler miraculeusement ce fossé énorme vis-à-vis de la parole publique et de l’ensemble des institutions collectives, mais pour amorcer ce travail de reconstruction de la communication, du dialogue et de la confiance citoyenne.

Nous savons, Monsieur le Premier ministre, que vous en êtes conscients puisque vous recevrez tout à l’heure des représentants des gilets jaunes et vous avez raison de le faire. Mais une posture de dialogue ne suffit pas  : sans des actes à l’appui, tangibles et immédiatement perceptibles, nous n’en sortirons pas. Et je voudrais ici attirer votre attention sur la situation à la Réunion, où la tension sociale est alarmante, et où la mission d’Annick Girardin est, pour le moment, dans l’impasse pour cette raison.

J’en viens maintenant aux questions posées dans cette réunion concernant la mise en œuvre concrète de cette concertation sur la transition écologique. La question sociale doit être placée au cœur car elle est une condition de la justice sans laquelle rien ne peut avancer mais aussi parce qu’elle est une condition de l’acceptation sociale sans laquelle rien ne se fera.

Il me semble qu’il nous faut ici esquisser des réponses à sur quoi, comment et avec qui ?

Sur quoi tout d’abord.

Il nous semble important que les contours des thèmes à creuser soient définis.

À ce titre, les questions de mobilité sont incontournables, incluant notamment l’approche des plans de transport dans les entreprises et les services, celle des réseaux de transport collectif et de co-voiturage, mais aussi la réflexion possible sur des chèques transport ou autres dispositifs du même type.

Le thème du logement est également incontournable, à la fois pour sa liaison avec les questions de mobilité qui peut poser le problème des niveaux de loyers, mais aussi sur un autre plan, celui des économies d’énergie avec le nécessité, pour l’UNSA, de déployer un plan massif et social pour l’isolation thermique des bâtiments. Les questions de financement des dispositifs sont également pour l’UNSA à retenir car ils sont centraux pour l’accompagnement social de ceux qui doivent investir, pour des raisons écologiques mais aussi d’économies à réaliser à terme, mais sans en avoir les moyens  : outre les dispositifs fiscaux, il faut examiner toutes les autres aides possibles, pour les particuliers comme pour les collectivités, et, dans ce cadre, nous sommes favorables à ce que le secteur bancaire soit responsabilisé pour développer, en plus, la possibilité de prêts à taux zéro et à échéances allongées. L’emploi et l’accompagnement de sa transformation ou de son développement est évidemment un autre thème clé.

Enfin, dernier thème  : la fiscalité, et dans la recherche d’un renforcement de son caractère progressif et redistributif, et dans le fléchage clairement écologique des moyens qu’elle pourrait permettre.

Sur quoi, je viens d’en parler. Avec qui ?

L’UNSA est favorable à l’ouverture la plus large vers les acteurs concernés, du côté des pouvoirs publics, et nous mettons dans cette catégorie, outre l’État, évidemment les collectivités mais aussi l’Europe, du côté des partenaires sociaux, du côté des associations environnementales mais aussi de celles engagées auprès des précaires et des pauvres, du côté enfin de personnalités qualifiées (scientifiques, sociologues, géographes, experts, etc.).

La question de la participation de gilets jaunes est posée, avec la difficulté d’avoir des représentants et le fait qu’on ne sait pas si ce mouvement spontané existera encore dans les trois mois.

Mais pourquoi pas utiliser, avec ou sans eux, le recours tirage au sort citoyen pour contribuer à désinstitutionnaliser ce débat et cette construction commune à mettre sur les rails ?

Enfin, après le «  sur quoi », le «  avec qui », comment ?

L’UNSA est favorable à un processus à deux niveaux. National, avec une représentation européenne, mais aussi décentralisé dans le double objectif d’être à la fois au plus près des citoyens et au plus près des réalités locales où doit se construire une transition écologique adaptée et donc efficace.

L’échelle géographique du département avec la participation évidemment de la région nous paraît la bonne maille, avec, à partir de là, toutes les déclinaisons possibles éventuellement vers tel ou tel territoire car le souci premier doit être la prise en compte des diverses réalités locales, des bassins de vie et d’emploi.

Enfin, toujours sur le «  comment », dans le climat de défiance et de doute qui règne mais aussi pour capter le dynamisme et l’énergie que ces questions peuvent susciter, nous pensons que la transparence des travaux et des débats doit être pleinement assurée, et les moyens techniques modernes peuvent le permettre, et que la participation la plus large des citoyens doit être recherchée, les plates-formes numériques pouvant entre autres y contribuer utilement.