Dans les télécoms, les opérateurs « alternatifs » attirent les convoitises

Revue de Presse

Source : lesechos.fr (10 mars 2019)

Ces acteurs focalisés sur le marché des entreprises sont devenus des cibles intéressantes au moment où Bouygues et Free accélèrent sur le B2B.

Fullsave, Netalis, mais aussi Sewan, Adista ou Nerim. Les opérateurs télécoms «  alternatifs » sont inconnus du grand public. Et pour cause, ils s’adressent aux entreprises, qui ont besoin d’eux pour accéder à la fibre, au cloud ou à la téléphonie mobile. Mais dans le secteur, ces acteurs récents, spécialisés sur un métier ou sur une région du territoire, sont depuis plusieurs semaines au centre du jeu.

Au moment où Bouygues Telecom et Free accélèrent sur le segment des entreprises, dominé par Orange et SFR, les Petits Poucets des télécoms – on dénombre une centaine d’opérateurs alternatifs en France – sont devenus des actifs très «  bankable ». Dans l’Hexagone, le marché des entreprises pèse plus de 9 milliards d’euros, soit un tiers du marché total des télécoms, selon l’Arcep. «  C’est le sujet du moment, reconnaît David Marciano, président de l’AOTA, l’association qui regroupe 44 de ces acteurs. La question que tout le monde se pose, c’est qui va racheter qui, et à quel prix. »

Acquisitions chez Bouygues et Free

Si le microcosme des opérateurs alternatifs s’agite autant, c’est que trois opérations d’envergure viennent d’être réalisées en quelques mois. Pour pouvoir proposer des offres dans le fixe aux TPE et PME, Bouygues Telecom a racheté Keyyo, puis Nerim le mois dernier. Free de son côté a déboursé 100 millions d’euros pour acquérir 75 % de Jaguar Network.

Les fonds financiers ou d’infrastructures, mais également des acteurs industriels, sont aussi sur le coup. Selon nos informations, Netalis et Céleste, deux opérateurs alternatifs, ont tous les deux ouvert leurs capitaux à de nouveaux entrants de ce type. Contactées, les deux sociétés n’ont pas voulu faire de commentaires. «  Nous sommes très sollicités, et sur de hauts niveaux de valorisation, avoue un autre concurrent. Tous ceux qui ont dépassé les 10 et 15 millions de chiffre d’affaires sont des cibles. »

Des acteurs nés après 2004

La plupart des opérateurs alternatifs sont nés après 2004. Cette année-là, les collectivités territoriales obtiennent la compétence télécoms. De nombreux opérateurs alternatifs qui ne pouvaient pas se greffer sur les réseaux d’Orange ou de SFR ont alors profité des réseaux d’initiative publique, cofinancés par les collectivités, pour se développer. Surtout dans les zones moins denses, où Orange et SFR n’avaient pas d’incitation économique à investir

Quinze ans plus tard, les opérateurs alternatifs ont réussi à faire leur trou, en jouant sur la proximité et le service client. Certes, leur part de marché est encore très faible face au duopole Orange-SFR. Collectivement, les membres de l’AOTA ne pèsent que 120 millions d’euros. Mais ils sont en croissance  : Linkt, par exemple, vient de remporter avec Bonduelle son millième client et a sécurisé 15 millions d’euros de commandes en 2018. Bretagne Télécom, de son côté, va franchir le cap des 20 millions de chiffre d’affaires en 2019. L’opérateur breton revendique une croissance de 30 % par an.

Reste que pour croître, au moment où les entreprises passent à la fibre, ces opérateurs doivent maintenant s’adosser à des plus grands. «  La marche pour avoir une envergure nationale, sur la fibre, est beaucoup plus haute, explique Xavier Maurice, expert en infrastructures numériques à la Caisse des Dépôts. Cela nécessite soit des investissements très importants, soit de s’appuyer sur un agrégateur, comme Kosc Telecom, l’opérateur de gros dans lequel nous avons investi en 2018. »

Carnet de chèques

De l’autre côté, les grands «  telcos » ont besoin de relais de croissance en dehors du marché grand public, leur priorité pendant de longues années , alors que la guerre des prix fait rage sur les box et les forfaits mobiles. Or, en rachetant ces opérateurs alternatifs, ils récupèrent une base client, une expertise métier spécifique, ou une empreinte régionale. Le marché des entreprises est plus intéressant que le marché des particuliers, car les marges y sont élevées et les clients moins susceptibles de partir vers la concurrence.

Certains préfèrent pourtant faire cavalier seul. «  Il y a un vrai remue-ménage en ce moment, car Bouygues sort le carnet de chèque, plaisante un opérateur alternatif du Grand Ouest. Mais il ne faut pas que les opérateurs alternatifs se nationalisent, sinon c’est le retour à l’ère de France Télécom. Nous avons encore plein de choses à vivre, donc l’idée, ce n’est pas de prendre un chèque et de partir vivre au soleil. »