Réforme des retraites : les gagnants et les perdants

Revue de Presse

Source : lopinion.fr (27 août 2019)

Le Premier ministre lancera les 5 et 6 septembre le deuxième round de concertation avec les partenaires sociaux sur la réforme des retraites. Il posera aussi les bases d’une consultation citoyenne. Depuis les propositions de juillet, la grogne monte

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Rien n’est gravé dans le marbre sur la réforme des retraites. Après la phase exploratoire qui a conduit à la rédaction du rapport présenté en juillet par le Haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, le Premier ministre va ouvrir les 5 et 6 septembre un nouveau round de concertation avec les partenaires sociaux. De nombreuses choses pourraient encore évoluer à cette occasion. Emmanuel Macron a indiqué lundi soir sur France2 sa préférence pour un calcul des droits à la retraite lié à la durée de cotisation plutôt qu’à l’âge de départ, « car si vous avez un accord sur la durée, si vous commencez plus tard, vous finissez plus tard, et quand vous commencez plus tôt vous partez plus tôt ».

Le passage vers le système universel de retraite voulu par Emmanuel Macron doit se faire « à périmètre constant », selon le Haut-Commissariat aux retraites en charge de la réforme. Pas question de dépenser plus que les 14 % du PIB actuellement consacrés aux pensions. Si l’enveloppe est constante et que les droits des Français sont harmonisés, il va nécessairement y avoir des gagnants et des perdants… « Il y a certaines professions qui – si on fait les choses mécaniquement – seraient lésées : infirmières, aides-soignants, enseignants», a noté hier soir sur France2 le chef de l’Etat, ajoutant : « Il n’y aura pas de réforme des retraites tant qu’on n’aura pas bâti une vraie transformation de ces professions.» Revue de détails.

Fonctionnaires : selon le montant des primes

Pour les fonctionnaires, le réveil va être difficile. Jusqu’ici, ils percevaient une pension égale à 75 % de leur traitement des six derniers mois (hors prime). Dans le futur régime, la retraite est déterminée en fonction de l’ensemble de la carrière. Ils vont donc y perdre puisque les salaires des six derniers mois sont nécessairement meilleurs que l’ensemble de la carrière. Pour compenser, il est prévu d’intégrer leurs primes dans le calcul de la retraite. Elles étaient en 2013 de « 25,3 % en moyenne [du traitement] pour les titulaires civils de l’Etat », selon la Cour des comptes, mais avec de fortes disparités, allant de 61,1 % pour les cadres de catégories A + à 5,1 % pour les professeurs des écoles. Pour ces derniers, l’intégration de la modeste prime sera très insuffisante. D’où la proposition du Haut-Commissaire de revoir leur traitement à la hausse, confirmée par le Président et le Premier ministre.

Régimes spéciaux : les départs anticipés à la peine

Le chef de l’Etat n’a cessé de le marteler : le régime de retraite des Français doit être plus juste, sinon cela crée un sentiment d’injustice. Ceux qui font le même métier doivent avoir les mêmes droits, qu’ils soient dans le public ou le privé. Du coup, toutes les possibilités de départ anticipé à 52 ou 57 ans, dans les régimes spéciaux (RATP, EDF, SNCF…) ou dans la fonction publique, seront supprimées. Certains métiers régaliens, qui n’existent pas dans le privé, continueront à profiter de conditions de départ aménagées. « Les policiers, les surveillants de l’administration pénitentiaire et les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne pourront ainsi partir à compter de 52 ans à la retraite », selon le rapport du Haut-commissaire. « Les sapeurs-pompiers professionnels, les douaniers et les policiers municipaux pourront quant à eux, partir à compter de 57 ans ». Les militaires auront aussi un régime spécial. Pour le reste, les fameuses aides-soignantes ou infirmières citées lundi soir par le chef de l’Etat, le départ précoce est supprimé et remplacé par les règles de pénibilité déjà en vigueur dans le privé, mais qui permettront au mieux de partir à la retraite deux ans avant l’âge légal, soit à 60 ans…

Comment compenser la différence pour ceux qui partent aujourd’hui plus tôt ? D’abord, les choses se feront progressivement et ceux qui totalisent déjà leurs 17 ou 27 ans de travail dans cette catégorie dite « active » pourront partir aux conditions actuelles. « Avec cette règle, au moins la moitié des effectifs actuels échappera à la réforme », selon le Haut-commissariat. Pour les autres, le gouvernement veut assouplir le dispositif de pénibilité. Il ne devrait pas toucher aux actuels six facteurs de pénibilité, mais abaisser les seuils qui permettent d’obtenir des points, notamment pour le travail de nuit, si important à l’hôpital.

Professions libérales : plus de perdants que de gagnants

Pour les professions libérales, le problème est tout autre. Les cotisations devraient s’établir à 28,12 % jusqu’à 120 000 euros annuels de salaires dans le nouveau régime. Bien plus que ce que n’acquittent certains libéraux. Il y aura cependant un tempérament pour eux : le taux sera de 28,12 % mais jusqu’à 40 000 euros et sera ramené à 12,94 % au-delà. Pour certains, comme les avocats, c’est un doublement ! Le gouvernement a cependant prévu de baisser l’assiette d’assujettissement des libéraux à la CSG pour compenser. Malgré tout, pour certains, cela ne suffira pas. Selon les calculs de l’Union nationale des professions libérales, seraient pénalisés les avocats, les architectes, les géomètres, les experts-comptables, les auxiliaires médicaux (infirmières, kinés, etc.), les vétérinaires et les sages-femmes.

Pour eux, cette hausse des cotisations entraînera une hausse de la pension, mais pas toujours à proportion, le nouveau régime étant parfois moins rentable que le leur. Le futur régime universel devrait avoir un rendement de 5,5 % (100 euros cotisés garantiront le versement de 5,50 euros de retraite par an), quand celui des avocats offre aujourd’hui 10 % (pour 40 000 euros cotisés), celui des experts-comptables 8,75 % ou celui des vétérinaires 7,5 %

A l’inverse, certaines professions libérales devraient être gagnantes, « notamment celles qui ont un taux de cotisation supérieur à celui du futur régime et qui en raison de leur démographie déclinante affichent des taux de rendement inférieurs, comme c’est le cas des agents généraux d’assurances », selon Bruno Chrétien, président de l’Institut de la protection sociale.

Tout n’est pas encore calé et la période de transition qui pourrait s’étendre sur vingt ans pourrait permettre aux différentes caisses de retraite concernées de trouver une solution, notamment en utilisant une partie des réserves constituées pour lisser les hausses de cotisations.

Salariés : une révolution pour les très hauts revenus

Pour les salariés aussi, il y a du changement. Ce ne sont plus les vingt-cinq meilleures années qui serviront de référence mais l’ensemble de la carrière. Ceux qui ont des carrières ascendantes, notamment les cadres, percevront donc une pension plus faible, du fait de la prise en compte des années à revenus moindres. En revanche, les salariés qui ont des carrières hachées seront avantagés. Cet effet redistributif est assumé, le futur régime universel devant « améliorer fortement la retraite de 40 % des assurés ayant des retraites les plus faibles », selon le rapport Delevoye. Ils percevront 23 % des pensions distribuées contre 19 % aujourd’hui, au détriment des salariés les plus rémunérés.

Il y aura aussi un autre effet important lié à l’assiette des cotisations. Aujourd’hui, les salariés sont soumis à cotisations sur un salaire maximum fixé à 8 plafonds de la Sécu, soit un peu plus de 320 000 euros par an. Demain, les cotisations seront prélevées jusqu’à 3 plafonds, soit 120 000 euros. Les 200 000 salariés qui ont un salaire supérieur ne cotiseront plus au-delà (sauf à 2,81 % au titre de la solidarité), ce qui peut représenter une forte économie pour eux (plus de 5 000 euros par an, pour un salarié payé à 200 000 euros par an et plus de 7 000 euros pour son employeur). Bien sûr, leur pension sera plus faible, puisqu’ils n’acquerront plus aucun droit au-delà de trois plafonds. Mais, avec moins de charges à payer, ces cadres-là auront mécaniquement un meilleur salaire net et pourront investir à titre personnel pour leur retraite dans une épargne individuelle ou dans des plans de retraite.

Agriculteurs et commerçants artisans : du mieux

Qu’il s’agisse du taux de cotisation ou du montant de la pension future, les modifications devraient, selon le Haut-commissariat, « être assez indolores pour les agriculteurs et les artisans commerçants ». Sauf pour les plus modestes, qui bénéficieront à plein du relèvement de la pension minimale à 85 % du smic, soit 1 000 euros par mois, pour tous ceux qui ont fait une carrière complète. Soit davantage que les 75 % du smic actuellement réservés aux agriculteurs (27 % en bénéficient) ou aux 81 % du smic réservés aux salariés et aux artisants-commerçants, voire aux agriculteurs poly pensionnés qui sont très nombreux.