Télétravail : prévenir les risques psycho-sociaux

Revue de Presse

Source : lesechos.fr (23 septembre 2019)

Les risques psychosociaux sont des risques qui peuvent être induits par l’activité professionnelle exercée, ou générés par l’organisation et travail et les relations de travail. Ces risques sont définis par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), comme étant des risques inhérents à des situations de travail où sont présents, combinés ou non : du stress, des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés et du harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes.

Il est de la responsabilité de l’employeur d’évaluer ces risques, et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger ses salariés dans le cadre de l’obligation générale de sécurité à l’égard de ses salariés (articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail). En cas de non-respect de cette obligation, il encourt des sanctions civiles et pénales (3.750 euros d’amende).

Servitude volontaire

Le télétravail en développant le nomadisme des salariés grâce à l’utilisation des nouvelles technologies pourrait conduire à une injonction implicite : être connecté en permanence, même en dehors du temps de travail effectif. Le collaborateur pourrait chercher à démontrer à son employeur qu’il mérite l’organisation du travail flexible qui a lui été accordée. 

Ce dernier pourrait alors modifier son comportement au travail pour donner une image de lui conforme aux attentes de l’employeur lors d’une situation de travail à distance, dans le but d’être reconnu et légitimité dans sa position de télétravailleur. Ce phénomène pourrait produire des effets néfastes sur la santé mentale et physique des individus, selon un rapport de l’organisation internationale du travail.

L’utilisation intensive des nouveaux objets connectés dans le cadre du travail peut conduire à une forme de « servitude volontaire de la Boétie» (Ray, 2009) et le télétravail peut potentiellement mener à l’invasion du territoire personnel.

L’éclatement des lieux de travail provoque une certaine porosité de la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée qui peut s’avérer dangereuse. Le télétravail présente donc parfois des risques de dérives. La connectivité permanente induite par le travail à distance rend les salariés dépendants, se sentant parfois contraints de devoir répondre immédiatement aux sollicitations de l’organisation, quels que soient l’heure et l’endroit. La possibilité d’une connexion permanente induit une situation subie. L’absence de régulation entre les sphères privées et professionnelles présente alors des risques la santé du salarié.

La perméabilité des frontières peut ainsi devenir un danger si le droit à la déconnexion introduit dans le Code du travail à l’article L 2242-17 n’est pas respecté. Le télétravailleur est supposé être autonome et c’est d’ailleurs fréquemment un critère d’éligibilité. Le manager lui fait confiance, mais derrière cette relation de promesses réciproques (autonomie, liberté d’organisation), il y a des attentes implicites (flexibilité). Derrière cette relation qui se veut gagnant-gagnant on découvre donc parfois une hyper-connectivité nocive. 

Quels accords dans l’entreprise ? 

Qu’il soit régulier ou occasionnel, le télétravail peut être mis en place par un accord collectif, par une charte ou par un simple accord entre le salarié et l’employeur. Le contrat de travail n’est pas nécessairement modifié par voie d’avenant. L’accord entre les parties peut désormais être formalisé par tout moyen.

L’accord collectif applicable ou à défaut, la charte élaborée par l’employeur précise notamment obligatoirement. Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail. La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

Beaucoup d’entreprises se sont emparées des ordonnances de 2017 et de loi de ratification de mars 2018 pour la mise en place du travail à distance, mais d’autres ont fait le choix de la signature d’une charte ou d’un accord d’entreprise. Ces documents, concertés, peuvent contribuer à protéger les droits des télétravailleurs et plus particulièrement mettre en œuvre le droit à la déconnexion en situation de télétravail.

En effet, le contenu de la charte ou des accords peut éviter : un temps de travail excessif, un empiétement de la vie professionnelle sur la vie privée, des difficultés à se déconnecter. On notera d’ailleurs que déjà, l’accord national interprofessionnel de 2005 prévoyait en son article 9 que la charge de travail, les normes de production et des critères de résultats exigés devaient être équivalents par rapport à̀ une situation comparable dans les locaux de l’employeur.

Protection renforcée

Cela pourrait aussi être l’occasion de mettre en œuvre une protection renforcée pour lutter contre les risques psychosociaux de manière plus globale dans l’organisation concernée. En aucun cas, le télétravail ne doit modifier, à la hausse ou à la baisse, les missions et activités habituelles du salarié, ses objectifs, le nombre d’heures de travail et sa charge de travail.

Le télétravail ne doit pas devenir uniquement un outil de flexibilité menaçant la santé des salariés. Cette dernière est d’ailleurs protégée par une réglementation stricte notamment concernant les durées maximales du temps de travail journalier, hebdomadaire, les droits à pause et repos.

Les entreprises font évoluer les modes managériaux vers davantage d’autonomie avec une contrepartie en matière d’obligations de résultat, notamment lors de la mise en place du télétravail. Cela suppose une vigilance particulière pour la protection des collaborateurs.

En effet, la direction doit veiller à un suivi régulier des télétravailleurs (via les entretiens obligatoires comme l’entretien professionnel ou à travers des entretiens facultatifs qui pourront être informels). Il sera aussi utile de travailler en étroite collaboration avec les représentants du personnel sur le sujet du télétravail comme des risques psychosociaux ainsi qu’avec la médecine du travail. Les managers pourront alors envisager l’opportunité d’un dialogue renforcé dans le cadre d’actions de prévention (audit des risques psychosociaux, nouveaux aménagements horaires, ergonomie des bureaux) dans le cadre de la mise en œuvre du travail à distance.

La mise en œuvre du télétravail en entreprise questionne ainsi sur l’éventuel développement d’outils de prévention des risques psychosociaux.

Ces outils peuvent être négociés dans la charte ou l’accord relatif au télétravail. C’est alors une occasion d’entamer le dialogue social sur le sujet des risques psychosociaux et notamment sur la déconnexion et la charge de travail. Le travail à distance serait alors un prétexte pour relancer le dialogue social autour de la prévention de certains risques et permettrait d’attirer l’attention des managers sur la nécessité pour leurs collaborateurs de mesurer l’usage des nouvelles technologies, même en situation de télétravail.