Les robots vont-ils financer nos retraites ? Ou petit traité d’économie du 19ème au 21ème siècle … et au-delà !

Revue de Presse

Source : cercledesepargnants.com (5 novembre 2019

Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), organisme désormais bien connu cf. notre article du 15/07/2019, a publié il y a peu (17/10/2019) une note intitulée : «  Les enjeux d’une taxation des robots » (sélectionner le document n°7), dont la lecture et l’analyse sont riches d’enseignements.

Taxe sur les robots, une mesure vertueuse ?

Selon ses promoteurs, une taxe sur les robots serait doublement vertueuse : d’abord, elle freinerait la substitution des humains par des robots. Le recours majeur aux robots dans le futur (car l’usage en est encore, somme toute, relativement modéré), pourrait diminuer le travail. Ensuite, en taxant les robots, on en freinerait l’usage par l’augmentant de leur coût relatif au regard de celui du travail. Cela devrait préserver, voire stimuler, l’emploi des humains et contribuer au financement de la protection sociale. Et, toutes choses égales par ailleurs, réduire ou éviter la hausse des prélèvements sociaux sur les salaires.

La désormais ancienne lutte entre le capital et le travail

D’aucuns n’hésitent pas à proclamer « la fin du travail », alors que la dialectique de la substitution du travail par le capital remontant aux débuts du capitalisme moderne, n’a cessé d’alimenter ces luttes. On pense aux canuts à Lyon en 1831 qui se révoltaient contre le progrès technique auquel recourraient les soyeux, pour diminuer la rémunération de la main-d’œuvre. Se trouve d’une part le capital, soucieux de productivité, par accroissement de la production et baisse du coût moyen produit. Et d’autre part la force de travail qui lutte pour sa rémunération. C’est le cœur du débat de l’économie classique entre les libéraux et l’école marxiste (Marx ici économiste classique, théoricien de la valeur du travail).

Les robots en Asie

Le document du COR définit un robot (une définition qui évoluera certainement) et distingue l’usage industriel de l’usage domestique. L’augmentation annuelle d’unités de robots industriels installés n’est pas linéaire. On prévoit une croissance annuelle de l’ordre de 13% dans les prochaines années. Les disparités entre pays sont fortes, mesurées par le nombre d’équipements installés pour 10 000 employés. L’Asie est en tête : Singapour et la Corée du Sud l’emportent avec 800 machines, contre 338 en Allemagne et un peu moins de la moitié en France. La Chine populaire est dans une proportion voisine de celle de l’hexagone. Mais avec le rapport d’effectif de la population entre les deux pays, il y a en Chine, une quantité absolue de robots 20 fois supérieure.

Les robots responsables ?

Le document du COR évoque une résolution du Parlement Européen de 2016 conférant une « personnalité électronique » aux robots capables de prendre des décisions autonomes. Certains juristes comparent cette responsabilité à celle des personnes morales. Ces débats qui relevaient voici encore peu de la science-fiction seront un terrain fertile aux débats philosophiques et aux joutes juridiques. La personnalité juridique conférée aux personnes morales, bien plus ancienne, est encore loin de pouvoir être toujours actionnée aisément. En outre, l’application des textes relève de juges que l’on espère … humains. Ces derniers peuvent considérer, comme pour un salarié ou un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, que bien qu’autonome, le robot, s’il suit les instructions fournies ou ne s’échappe pas de l’univers qui lui est défini, n’est pas responsable.

Comment taxer les robots ?

Le COR indique que la littérature économique considère le robot comme un troisième facteur de production, entre capital et travail. En cas de substitution parfaite entre robots et travail humain, l’assiette serait le « salaire fictif », soit le revenu d’un humain effectuant la même tâche. Mais le robot lui-même n’étant pas (pas encore ?) un contribuable, l’entreprise serait imposée. Et le capital serait alors taxé deux fois. Pour l’éviter, le « salaire fictif » du robot peut devenir une charge pour l’entreprise. La dépréciation du robot ne serait alors pas déductible du profit de l’entreprise. D’autres hypothèses sont examinées, se déplaçant, classiquement, sur l’axe entre « robot capital » et « robot force de travail ». Le COR rappelle que les robots augmentant l’assiette de taxation des profits de l’entreprise, il n’est alors pas nécessaire, au nom de la théorie de l’équilibre général, de les taxer spécifiquement. Pour une raison simple : au lieu de taxer l’outil (le robot), il est plus simple – et probablement fiscalement plus judicieux – de taxer les profits additionnels qu’il procure.

Economie ouverte

Le COR conclut qu’il convient de distinguer entre économie fermée ou ouverte et que les robots étant souvent mobiles, il serait vain de les taxer. Cela rappelle les « GAFAM », quasiment dématérialisés, traitant d’égal à égal avec les états souverains et Facebook qui annonce vouloir battre monnaie avec le Libra. Leur taxation est l’un des sujets les plus considérables de notre époque. La caractéristique de la monnaie depuis son époque scripturale et désormais électronique (et déjà crypto, donc hors champ régalien) fait qu’il est n’est pas aisé de taxer le capital en économie ouverte.

«  Territorialiser » les profits, pour pouvoir les taxer

Taxer les profits est plus aisé, à condition de les « territorialiser ». C’est l’enjeu des mesures limitant l’optimisation fiscale. Taxer les travailleurs (y compris par des cotisations sociales), impose de rendre inopérante leur circulation professionnelle dans un cadre social extra-territorial. C’est-à-dire, par exemple, d’éviter la concurrence sociale à l’intérieur de l’Union Européenne, par des lois sociales (et fiscales) harmonisées.

Travail substitué ou augmenté ?

Le document du COR rappelle que le robot est rarement un substitut parfait du travailleur humain. C’est dans les pays où la productivité de l’être humain est la plus élevée qu’on rencontre le plus de robot. Loin de toujours s’opposer, leur productivité respective peut se conjuguer. Donc travail substitué ou travail à effet augmenté ?

Responsabilité et personnalité juridique

Conférer au robot une « personnalité » juridique revient à décharger son détenteur, au moins en partie, de sa propre responsabilité. Le salarié humain, lui, voit rarement sa responsabilité engagée à l’égard de tiers, sauf à déroger de manière manifeste aux instructions de son employeur. Le robot par ses agissements car, programmé par l’employeur, engage fort probablement la responsabilité ce dernier. Les juges sont pratiques : pour indemniser un préjudice, on considère souvent la responsabilité d’une partie non seulement responsable, mais aussi solvable. Cette question relève manifestement plus des juristes que des économistes.

Conférer la personnalité juridique à des robots peut en retour leur créer des droits : il reviendra alors aux promoteurs d’une telle mesure, la redoutable tâche de définir de tels droits.

Notons enfin que de nombreux pays, France comprise, savent faire contribuer le capital à la protection sociale. C’est pour cela, peut-être, qu’en bonne logique, la note du COR choisit de ne pas conclure sur la taxation des robots.

Pouvons-nous ainsi imaginer un scénario dans lequel, des robots qui auront ont cotisé, intuitu personnæ à la retraite, vont un jour demander leurs droits ?

Enfin, le progrès technique ne manque jamais de surprendre : la tendance actuelle est celle non plus d’opposer, ou même de vraiment distinguer, entre l’homme et la machine. L’invention de l’être humain « bionique » n’est pas récente. Et sa version actuelle ou projetée pose quantité d’interrogations.

La science-fiction, c’est connu, n’est pas avare de chimères, mais trouve peut-être ici ses limites : à quand le robot qui paiera les impôts à votre place