Réforme des retraites : l’UNSA accusée d’être favorisée par l’exécutif

Revue de Presse

Source : lemonde.fr(15 janvier 2020)

L’organisation de Laurent Escure pourra siéger dans la gouvernance du futur système universel, ce qui n’est pas le cas de Solidaires et de la FSU.

Alors que le mouvement contre la réforme des retraites est sur le point d’entrer dans sa sixième semaine, l’ambiance se tend entre plusieurs syndicats. Au cœur de la mêlée, il y a d’un côté l’UNSA, désormais bienveillante à l’égard du projet gouvernemental depuis que l’idée d’un âge pivot à 64 ans en 2027 a été mise de côté. De l’autre, plusieurs organisations hostiles à la construction d’un système universel par points. La première est accusée par les secondes d’avoir bénéficié d’un traitement de faveur de la part de l’exécutif.

La règle d’une audience de 5 % dans le privé et le public

Le soupçon se cristallise sur l’article 49 de l’avant-projet de loi. Ce passage du texte est consacré à la gouvernance du dispositif, qui va graviter autour de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), pilotée par un conseil d’administration paritaire. Dans cette instance, il y aura, notamment, des personnalités désignées «  par les organisations syndicales ayant obtenu une audience combinée supérieure à 5 % » dans le public et le privé. Une règle qui permet à l’UNSA d’être l’un des administrateurs de la CNRU.

Aujourd’hui, l’organisation dirigée par Laurent Escure est représentative dans la fonction publique, avec un score de 11,2 % si l’on additionne tous les suffrages recueillis, fin 2018, dans les ministères, les hôpitaux et les collectivités locales (avec des résultats élevés en particulier à l’éducation nationale). Un an plus tôt, dans le secteur marchand, malgré de bonnes performances à la RATP et à la SNCF, elle n’est pas parvenue à atteindre, au niveau interprofessionnel, la barre des 8 % requise pour être représentative. Mais sur l’ensemble du public et du privé, elle totalise un peu plus de 7 %, ce qui lui offre donc la possibilité d’entrer dans le conseil d’administration de la CNRU, contrairement à la FSU et à Solidaires, situées sous le seuil de 5 % exigé pour siéger dans cet organe.

10000000000002b0000001c053e040a0b4983ecc.jpgLe premier ministre Edouard Philippe (à gauche) et le secrétaire général de l’UNSA Laurent Escure (en face, à droite) à Matignon le 18 décembre, lors d’une réunion sur la réforme des retraites.
Le premier ministre Edouard Philippe (à gauche) et le secrétaire général de l’UNSA Laurent Escure (en face, à droite) à Matignon le 18 décembre, lors d’une réunion sur la réforme des retraites. IAN LANGSDON / AFP

«  Les règles ont été ajustées pour (…) une organisation qui soutient la réforme. »

Plusieurs responsables syndicaux rouspètent contre des modalités, à leurs yeux, taillées sur mesure pour l’UNSA. «  Ça fait un moment que le gouvernement a fait le choix de [l’]intégrer (…) dans toutes ses discussions et d’écarter notre organisation et la FSU », regrette Eric Beynel, l’un des porte-parole de Solidaires. «  Les règles ont été ajustées pour permettre à une organisation, qui soutient la réforme, d’entrer dans la gouvernance du système universel de retraite, renchérit Michel Beaugas (FO). Le gouvernement choisit ses interlocuteurs au mépris des textes sur la représentativité syndicale. »

Numéro deux de la CGT, Catherine Perret fustige «  un tripatouillage » pour «  exclure certains et faire entrer une organisation qui n’est pas représentative au niveau interprofessionnel ». Ce procédé, «  proprement indigne », selon elle, vise à «  renforcer une CFDT isolée par rapport aux membres de l’intersyndicale, qui sont majoritaires » (CGT, FO, FSU, Solidaires). Pour Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, si «  l’UNSA a toute légitimité à parler retraites » au sein de la CNRU, cela vaut aussi pour son syndicat et Solidaires. «  Ce sont deux voix qui manquent autour de la table », déplore-t-il.

Choix «  rationnel »

A l’UNSA, on se défend d’avoir été chouchouté par l’exécutif. «  Franchement, si certains pensent qu’on est capable de dealer une place dans un conseil d’administration sur une réforme des retraites qui est anxiogène, c’est non seulement bien mal nous connaître mais aussi vexant », soupire l’un de ses dirigeants, Dominique Corona. Quant au seuil de 5 % retenu, «  il n’a pas été abaissé, il n’y en avait pas ». Sous-entendu : le dispositif mis en place couvre toute l’économie, ce qui est radicalement nouveau et implique donc de forger des règles spécifiques. «  A partir du moment où c’est une caisse universelle qui englobe tous les secteurs, il est tout à fait logique qu’il y ait le public comme le privé », estime M. Corona.

A Matignon, l’argumentaire est le même  : «  Le futur système universel va s’appliquer – entre autres – aux salariés du privé et aux fonctionnaires. Dès lors, il est normal de voir siéger dans la gouvernance des organisations représentant ces deux catégories. Se limiter aux règles de la représentativité syndicale dans le privé serait pour le moins curieux. » En d’autres termes, la polémique est sans objet puisque l’UNSA a engrangé plus de suffrages (dans le public et dans le privé) que Solidaires et la FSU. Quand au ratio de 5 % pour évaluer le poids des organisations, il est qualifié de «  rationnel », par l’entourage du premier ministre.

Du reste, si l’exécutif avait misé sur l’hypothèse que la tête de l’UNSA pourrait faire reprendre à ses troupes le chemin du travail, il en serait pour ses frais  : ni l’UNSA-Ferroviaire ni l’UNSA-RATP – la première à avoir appelé à se mobiliser le 5 décembre 2019 – ne sont encore sorties du mouvement. «  On ne leur a jamais demandé de mettre fin à la grève, souligne M. Corona. Tant que le contrat social dans ces entreprises ne sera pas tenu, on respectera leur choix. »

Mais M. Escure, qui a soustrait son organisation de la confidentialité à la faveur du conflit sur les retraites, écume les plateaux télévisés pour souligner que la situation s’améliore peu à peu, parce que «  les avancées obtenues sont connues des agents, petit à petit », comme il l’a dit, mardi, sur BFM-Business. Il n’hésite pas non plus à mettre en cause ses homologues de l’intersyndicale. «  La CGT et Force ouvrière ont quand même amené un certain nombre de salariés dans le mur avec [leur] stratégie qui est aujourd’hui une impasse, a-t-il ajouté. (…) Certains y ont été sensibles parce qu’on leur avait vendu que le mouvement social allait s’embraser partout, et ils se rendent compte aujourd’hui qu’ils ont été un peu manipulés. » Pas de quoi apaiser le climat.