Source : lemonde.fr (6 avril 2020)
Après trois semaines de confinement, comment tenir le coup avec ses enfants tout en se préservant ? La psychothérapeute Isabelle Filliozat, spécialiste de la parentalité positive, a répondu à vos questions dans un tchat.
Comment faire pour gérer la classe des plus petits à la maison ? COLLECTIF FAUX AMIS / HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Comment rester un parent « positif » en temps de confinement ? Comment supporter sa marmaille, comment se préserver, quelles bonnes attitudes adopter ? Isabelle Filliozat, psychothérapeute et autrice de J’ai tout essayé (JC Lattès, 2011), a contribué à populariser la parentalité positive et l’éducation bienveillante.
Nana maman : A la maison (en télétravail) avec des jumelles de 2 ans et demi et une fille de 7 ans, comment s’organiser pour que tout le monde s’y retrouve ?
C’est mission impossible ! C’est la première chose à réaliser. Cool ! Inutile de se mettre la pression. A 7 ans, elle peut être un peu indépendante, mais des jumelles de 2 ans et demi, c’est super prenant et 100 % d’attention en permanence, pas question de télétravail. Vous pouvez organiser des tours et télétravailler une demi-journée pendant que l’autre parent s’occupe des enfants.
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Pivoine : Mon fils aîné (14 ans) est taciturne et sujet à des sautes d’humeur depuis le confinement. Il lui est arrivé de ne pas se joindre au reste de la famille (deux enfants de 11 et 3 ans ainsi que leur père, mon conjoint) pour les repas…
Son comportement est bien de son âge. A 14 ans, les sautes d’humeur sont naturelles. Mesurons toutes les transformations qui surviennent dans son corps et dans sa tête ! Qu’il ne se joigne pas au reste de la famille de temps à autre, c’est sain. A son âge, il a besoin de commencer à se distancier, et surtout, il doit lui être particulièrement difficile par moments de côtoyer un enfant de 11 ans, car il se voit plus jeune. S’extraire de la situation lui permet de ne pas se montrer exaspéré et violent. C’est ainsi qu’il le gère.
Yannou : Suivre le programme de CP n’est pas facile pour notre petit loup qui ne veut pas travailler à la maison ! Proposer des récompenses systématiques pour encourager les enfants à se mettre au travail est-il contre-productif ?
C’est sûr que ce n’est pas facile de suivre un programme. Eh oui, la maison, c’est la maison. L’école, c’est l’école. Franchement, vous pouvez vraiment lâcher sur le programme pour vous focaliser sur les compétences exécutives (la capacité à choisir, à décider, à inhiber une action…) en jouant. Cela lui sera plus utile.
Les récompenses sont contre-productives. L’enfant en a besoin de toujours plus pour se mettre au travail et cela éteint ce qu’on appelle la motivation intrinsèque, c’est-à-dire en l’occurrence le goût d’apprendre ! Plus on donne de récompense, moins l’enfant aimera travailler pour travailler, apprendre pour apprendre. Il va se mettre à travailler pour avoir une récompense et en voudra toujours plus.
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Marmotte : Faut-il partager nos angoisses avec nos enfants, par exemple les problèmes professionnels liés à la crise ?
Cela dépend de leur âge. Mais de manière générale, la réponse est oui. Sinon, ils angoissent encore plus parce qu’ils perçoivent les tensions sans pouvoir les comprendre. Les enfants n’ont pas besoin que nous soyons parfaits, sans souci et ayons réponse à tout : ils ont besoin de voir comment nous réglons les problèmes. On explique avec des mots simples la situation, puis on partage nos sentiments et on dit ce qu’on va faire pour les réguler et faire face à la situation.
Mélojulien : Comment expliquer aux enfants qu’il y a un temps pour le télétravail des parents et qu’il faut être calme pendant ce temps (parfois long) ? Peut-on donner des règles à nos enfants, sans toujours devoir prendre en compte leurs émotions ? Car parfois, surtout en confinement, on veut juste qu’ils obéissent.
Je ne vais pas vous dire comment expliquer alors que ça ne sert à rien d’expliquer ! Aucune explication (mentale) ne va les aider à satisfaire leurs besoins. Avec des enfants petits, le télétravail, c’est franchement compliqué. Tous les patrons (j’espère) réalisent qu’on ne peut pas travailler à la maison avec des enfants petits. La solidarité, c’est aussi ça. Donc concrètement quand même, quelques options :
- bien remplir le « réservoir » de l’enfant avant en jouant avec lui en étant pleinement présent à lui pendant 20 minutes ;
- régulièrement, toutes les 10 ou 20 minutes (selon l’âge de l’enfant), vous lui dites un mot, passez derrière lui pour lui faire un petit massage d’une seconde, un bisou…
Si vous venez à lui régulièrement, il sera tranquillisé et du coup viendra moins vous déranger.
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Milia : Deux enfants de 6 et 8 ans, chef d’entreprise, un mari qui bosse beaucoup car grosse activité en cette période de crise… je n’en peux plus. Que faire ?
Pas facile ! Déjà une bonne bataille de polochons avec les enfants. Ensuite, faire la cuisine ensemble et non pour eux. Les impliquer dans toutes les tâches ménagères qui ne seront plus des « tâches », mais des jeux pour tenir la maison.
Les enfants adoreront participer (sauf si on leur demande d’aider et de faire des « tâches » ménagères). Et rendez-vous sur Enfance & covid.com pour d’autres options. Et si vous sentez que vous risquez de craquer (ou avant) vous pouvez appeler le 0805 827 827. Nous venons de créer ce numéro vert avec quelques amis pour répondre justement à ces situations. Courage !
Mère fatiguée : Mes enfants (deux garçons de 4 et 8 ans) se disputent et se battent fréquemment depuis le début du confinement. Je suis seule avec eux dans un petit appartement. Comment ne pas me retrouver sans cesse au milieu de leurs disputes ?
Vous gagnerez à organiser les bagarres : on choisit un horaire, un temps, un ring (le lit ou on précise un espace au sol avec des coussins) et on met le minuteur. Bagarre ? Prêt ? Go ! Quand la bagarre est organisée, ça limite la violence car les enfants ont tendance à respecter les règles.
Violette : Après 3 semaines de confinement, nos ados continuent à travailler sérieusement en semaine mais ont des coups de déprime à force de ne pas voir leurs amis. Pas forcément simple de leur remonter le moral.
Pourquoi ce besoin de leur remonter le moral ? De l’empathie, ça suffira ! Nous avons besoin d’apprendre à supporter que nos enfants ne soient pas toujours rayonnants de bonheur. C’est naturel d’avoir des coups de déprime ! On peut en profiter pour faire progresser son intelligence émotionnelle. Au lieu de lutter contre la déprime, on l’accueille, on la déguste, on la sent…
C’est ça apprendre à vivre. Apprendre aussi à souffrir sans être détruit par la souffrance !
Mu : Après trois premières semaines de confinement plutôt réussies avec mes deux enfants, je suis irritable depuis peu, notamment en raison de préoccupations professionnelles. Comment parvenir à remettre de la distance entre le travail et ma vie privée ?
Super d’observer cette irritabilité qui monte. C’est la première chose, prendre conscience de ce qui se passe en nous. Cela nous évite de le projeter excessivement sur notre entourage. Nous sommes « un ». On ne peut « mettre de la distance » entre deux parties de soi sans dommage. Peut-être gagneriez-vous à intégrer davantage vos enfants et à partager vos préoccupations avec eux ? S’ils sont petits, vous pourriez jouer avec eux, avec des figurines, avec leurs peluches au « travail de maman (ou papa) », en leur faisant jouer une situation au centre de vos préoccupations actuelles. Qui sait, ça vous aiderait même peut-être à y réfléchir autrement ?
Maman LH : Comment faire pour éviter un traumatisme chez les enfants sachant qu’ils sont loin de leurs repères (classe, nounou, copains, activités) et ne peuvent quasiment pas sortir se dépenser pour se changer les idées ?
Ils vivent un trauma, certes, mais il n’y aura traumatisme que si leurs émotions ne sont pas entendues, s’ils ne peuvent élaborer cette situation. Notre job est de les aider à en tirer le meilleur, un enseignement, les aider à faire émerger leurs ressources intérieures ! Et bien sûr, accompagner leurs émotions et les nourrir d’amour ! Et noter tous les petits moments de joie dans la journée, car il y en a, forcément !