Source : LES ECHOS (5 décembre 2014)
Ecraser les coûts en développant les synergies pour doper les marges, faire remonter les prix et investir dans le réseau : voilà comment le patron de Numericable compte produire du cash, afin de rembourser sa dette. Tout va reposer sur sa capacité à tenir son « business plan »
Il y a un peu plus d’une semaine, Patrick Drahi bouclait l’acquisition de SFR. Le même jour, l’autorité de la concurrence lui donnait son feu vert pour croquer Virgin Mobile. Et il n’a pas encore digéré ces deux actifs qu’il est, déjà, sur le point de racheter Portugal Telecom ! Montant de l’addition : 24 milliards d’euros dépensés en quelques mois. Mais ce n’est pas tout, puisque sa société Altice salive désormais devant Bouygues Telecom, qui n’est pourtant pas à vendre. Patrick Drahi aurait-il les yeux plus gros que le ventre ?
En réalité, sa boulimie d’achats n’est pas nouvelle. L’homme d’affaires franco-israélien, opportuniste de la première heure, a bâti son groupe à coups d’acquisitions de câblo-opérateurs depuis une dizaine d’années, multipliant les rachats par endettement. C’est ainsi qu’est né Numericable, filiale d’Altice et numéro un du câble en France, dans laquelle les fonds Cinven et Carlyle ont investi. Petit à petit, la société de celui qui a commencé comme simple entrepreneur à Cavaillon, dans le sud de la France, s’est étendue en Israël, en République dominicaine, au Portugal, en Belgique et au Luxembourg. Le nouvel ogre des télécoms parie désormais sur la convergence fixe-mobile, un mouvement de fond observé dans le monde entier.
Aujourd’hui, tout semble donc sourire à Patrick Drahi, le patron d’Altice… « au pays des merveilles », plaisante-t-on dans le secteur des télécoms. Telle l’héroïne du livre de Lewis Carroll devenue géante, le groupe a vu sa taille multipliée par neuf grâce au rapprochement entre Numericable et SFR, qui l’a propulsé au rang de numéro deux des télécoms français, derrière Orange. Il s’offre de surcroît la première place dans le très haut débit. 13,36 milliards d’euros : c’est la plus grosse acquisition jamais réalisée par le groupe, mais Patrick Drahi est attendu au tournant. Au total, la dette d’Altice atteint 25 milliards d’euros, soit 4 à 4,5 fois son Ebitda. Désormais, il faut rembourser l’addition ! « C’est un « built up » avec tellement de dettes qu’au bout d’un moment tu possèdes presque les banques », ironise un acteur du secteur. Altice assure qu’il n’y a pas péril en la demeure : le multiple est au niveau des standards européens et, autrefois, Numericable a fait pire que cela en atteignant jusqu’à cinq fois l’Ebitda. Et puis, tant que le patrimoine grossit, la capacité à rembourser la dette n’est pas un problème. Quand bien même le groupe rembourse 1,2 milliard d’intérêts par an (avant économies d’impôts).
Les marchés y croient et Drahi les enivre. Pour racheter SFR, Altice a réalisé une mégalevée de fonds via l’émission d’obligations pour environ 12 milliards. La demande des investisseurs a dépassé les 100 milliards de dollars. Du jamais-vu dans l’univers high-tech ! Deutsche Bank affirmait récemment que la capacité d’endettement du groupe est telle qu’il n’y aurait pas besoin d’augmentation de capital pour financer une éventuelle acquisition de Bouygues Telecom, quand bien même le prix serait généreux… Il faut dire que l’appétit du marché pour les télécoms est très fort. La mise en place d’une nouvelle Commission européenne fait planer l’hypothèse d’un assouplissement de la réglementation et la baisse des prix dans le secteur semble arrivée à un point bas, après les ravages causés par Free et ses tarifs low cost, qui ont forcé tous les acteurs à baisser les leurs. Les opérations de concentration s’accélèrent. Un jour c’est British Telecom qui veut racheter O2, le lendemain c’est Vodafone qui jette son dévolu sur Liberty Global. Alors pourquoi ne pas en profiter ? « Altice a réussi à faire croire qu’il est comme les opérateurs du câble américain qui s’endettent jusqu’à cinq ou six fois leur Ebitda. La différence, c’est qu’aux Etats-Unis, les câblo-opérateurs sont en monopole sur leur marché », tacle un adversaire. Le terrain de jeu français, lui, est beaucoup plus agité avec quatre opérateurs, dont Bouygues et Free, qui se livrent une âpre concurrence. La guerre des prix n’est peut-être pas terminée.
Chez Altice, la partie s’annonce donc serrée. Ecraser les coûts en développant les synergies pour doper les marges, faire remonter les prix et investir dans le réseau : voilà comment Patrick Drahi compte produire du cash. Tout va donc reposer sur l’exécution et la capacité à tenir le « business plan ». Pas facile pour celui qui vient d’écarter la majeure partie des dirigeants de SFR et se retrouve sans grand spécialiste du mobile. Un peu comme lorsque SFR et Neuf Cegetel ont fusionné en 2007, et que le poste de directeur de réseau de SFR, hautement stratégique, a été repris par Neuf. Certains voient là une raison de la dégradation de la qualité du réseau de SFR ces dernières années.
Une lourde tâche attend les équipes. De leur capacité à générer du cash dépend la propension du groupe à rembourser sa dette. Et de ce point de vue, pas question de dire, comme le petit lapin blanc aux yeux rose d’Alice, « en retard, en retard ! ». Les banques, elles, n’attendent pas. Elles posent des clauses qui interdisent d’aller au-delà d’un certain multiple d’endettement. Faute de quoi les taux d’intérêt augmentent. Dans les cas les plus extrêmes, la dette peut être convertie en capital. C’est ce qui s’est passé pour Vivarte, le propriétaire de Minelli et Naf Naf, qui a basculé cet été sous le contrôle de trois fonds. Numericable en sait quelque chose, lui qui, par le passé, s’est fait rappeler à l’ordre par ses créanciers. En 2009, croulant sous une dette de 3,1 milliards et affichant des résultats moins bons que prévu, il a dû rouvrir les négociations avec ses prêteurs, qui redoutaient que les ratios de dette ne soient pas respectés. Patrick Drahi a su prouver par le passé qu’il savait se sortir de situations difficiles. Mais, pour lui, le plus dur commence sans doute.
Fabienne Schmitt
Chef adjointe du service High Tech Médias
Les points à retenir
De SFR à Portugal Telecom en passant par Virgin Mobile, le patron de Numericable vient de débourser 24 milliards d’euros en quelques mois pour devenir un acteur majeur des télécoms.
Lors de la levée de fonds pour le rachat de SFR, la demande des investisseurs a dépassé les 100 milliards de dollars. Inédit dans l’univers high-tech !
Tout semble sourire à Patrick Drahi, mais avec une dette de 25 milliards, représentant 4 à 4,5 fois son Ebitda, sa société est attendue au tournant.