Source : LePoint.fr (12 février 2015)
Prévenir les risques psychosociaux est l’une des priorités du troisième plan « Santé au travail » du gouvernement. Les tribunaux y sont déjà sensibilisés.
Le suicide au travail est une réalité dont l’exemple de France Télécom (devenu Orange) est l’illustration extrême avec 35 salariés concernés. Parmi les facteurs responsables du suicide, l’épuisement professionnel ou burn-out. Cette pathologie, qui n’est pas définie cliniquement, est donc difficilement quantifiable. Selon le cabinet de prévention des risques professionnels Technologia, elle concernerait 12 % des actifs, soit 3,2 millions d’entre eux, un chiffre néanmoins contesté par une partie du corps médical. Reste que le nombre de cas reconnus comme maladie d’origine professionnelle, soit quelques dizaines pas an, reste bien en deçà de la réalité. La raison tient à la difficulté de la preuve : « Les personnes concernées doivent justifier d’une incapacité permanente professionnelle (IPP) de 25 % minimum et démontrer que celle-ci est directement liée au travail, puis soumettre le dossier pour avis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, ce qui est très compliqué », décrypte Laura Ferry, avocate du cabinet Reed Smith
Pétition
Le burn-out ne figure donc pas, pour l’heure, au tableau des maladies professionnelles. Sauf que le syndrome ne cesse de croître, comme l’observent les 78 médecins du travail qui ont lancé un appel fin 2014, symbolisé par cette interrogation : « combien de burn-out se terminent par un licenciement pour inaptitude ou par un passage à l’acte suicidaire ? ». Le cri d’alarme a fait mouche : près de 9 000 parlementaires ont signé une pétition visant à faire inscrire cette pathologie au tableau des maladies professionnelles. L’intérêt ? « Cela permettrait au salarié de bénéficier d’une présomption qui le dispenserait d’avoir à prouver son IPP de 25 % et le lien direct avec le travail. Il suffira d’établir la maladie afin de faciliter sa prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie et le coût du burn-out sera financé par les cotisations patronales plutôt que sur l’assurance maladie », note Me Ferry. Par ailleurs, un rapport du groupe de réflexion sur les risques psychosociaux et le burn-out, mis en place début 2014 par le ministère du Travail, devrait prochainement venir clarifier cette pathologie dans le but d’élaborer des recommandations pour mieux prévenir les risques.
Pour l’heure, les salariés s’en remettent à la jurisprudence pour voir jugé leur licenciement injustifié. La Cour de cassation estime en effet que la rupture du contrat de travail par l’employeur n’est pas justifiée lorsqu’elle intervient à la suite d’absences répétées ou d’un congé maladie de longue durée résultant d’un manquement de l’employeur à son « obligation de sécurité de résultat » à l’égard du salarié concerné.
Sécurité des salariés
Une des premières affaires jugées par la haute juridiction date de mars 2013. Une chef de produits avait été licenciée à la suite d’absences prolongées et répétées. Déboutée par la cour d’appel de sa demande de dommages et intérêts, elle a formé un pourvoi en cassation. Et l’arrêt a été cassé. Les hauts magistrats ont reproché aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si la salariée avait été exposée à un « stress permanent et prolongé » en raison d’une « surcharge de travail conduisant à un épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé susceptible de caractériser un lien entre la maladie de la salariée et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ».
Plusieurs juridictions s’inscrivent dans le sillage de cette jurisprudence. L’employeur est « débiteur, au sens de l’article L4121-1 du Code du travail, de l’obligation d’assurer la sécurité et la protection des salariés, de prévenir les risques professionnels, notamment psychosociaux, dont le burn-out, en prenant des mesures telles que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés », a jugé la cour d’appel d’Aix-en-Provence en juin 2014. « L’obligation de sécurité est une catégorie fourre-tout qui englobe tous les risques professionnels, rappelle Me Ferry. C’est au salarié qu’il appartient de prouver le manquement de l’employeur à cette obligation afin de contester les conditions de son licenciement », précise l’avocate.
Faute inexcusable de l’employeur
Si un tel manquement à l’obligation de « sécurité de résultat » est reconnu, l’employeur peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la faute inexcusable et être amené, à ce titre, à indemniser les préjudices du salarié. « Cela suppose de démontrer que l’employeur a ou aurait dû avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures pour l’en préserver, note Me Ferry. Pour le prouver, le salarié peut notamment présenter au juge des attestations démontrant qu’il était en état d’épuisement, ce que l’employeur ne pouvait ignorer, et qu’il n’a pris aucune mesure pour le protéger. » Dans une affaire jugée en octobre 2014 à la suite du suicide d’une préparatrice de pharmacie, la cour d’appel d’Angers a retenu la faute inexcusable de l’employeur qui « n’a pas tenu compte de la fragilité visible de sa salariée et de la dégradation de son état de santé face au stress généré par la nouvelle organisation ni mis en oeuvre une démarche d’analyse des risques et de leur prévention ».
En clair, les juges se montrent de plus en plus attentifs à la relation de cause à effet entre l’altération de la santé du salarié et la dégradation de ses conditions de travail non prises en compte par l’employeur. Et en tirent les conséquences…