Source : L’EXPRESS (26 novembre 2014)
Les décisions prises par la Commission européenne d’inspecter l’opérateur historique France Télécom, devenu Orange, dans le cadre d’un éventuel abus de position dominante ont été confirmées mardi par le tribunal de l’Union européenne.
La société Orange fournit notamment des services d’accès à internet pour les entreprises et les personnes physiques et, en 2011, une entreprise concurrente, Cogent a déposé plainte auprès de l’Autorité de la concurrence française pour abus de position dominante par plusieurs « pratiques dans le secteur des prestations d’interconnexion réciproques en matière de connectivité internet », pratiques qui n’ont pas été considérées comme avérées ou qui ne constituaient pas un abus de position dominante.
Parallèlement, la Commission européenne avait ouvert une procédure à l’encontre d’Orange sur des pratiques très similaires et postérieurement à la décision de l’Autorité française, la Commission a ordonné à Orange, par décisions (1), de se soumettre à une inspection. L’inspection s’est déroulée du 9 au 13 juillet 2013 dans quatre sites d’Orange mais estimant que la Commission n’avait pas le droit d’ordonner cette inspection dans ses locaux dans les circonstances de l’espèce, Orange a introduit un recours devant le tribunal pour obtenir l’annulation des décisions. Par son arrêt d’hier, le tribunal (2) rejette le recours d’Orange et confirme les décisions d’inspection de la Commission.
Orange contestait le caractère « proportionné et nécessaire » des décisions d’inspection, dans la mesure où l’Autorité nationale avait déjà enquêté sur des présomptions d’infraction identiques et conclu à la conformité de son comportement avec les règles de concurrence de l’Union mais le tribunal rappelle que la Commission n’est, en principe, pas liée par une décision rendue par une juridiction ou autorité nationale en application des articles 101 et 102 TFUE et que la Commission peut prendre « à tout moment des décisions en matière de concurrence, même si celles-ci sont en contradiction avec une décision nationale ».
Il était également mis en exergue que la communication à la Commission du dossier de la procédure nationale aurait pu constituer une alternative moins contraignante mais tout aussi efficace qu’une inspection, dans la mesure où la Commission aurait pu ainsi obtenir des informations supplémentaires sur les infractions présumées mais, encore une fois, tout en soulignant qu’il peut apparaître regrettable que la Commission ait opté pour une inspection sans vérifier au préalable les renseignements obtenus par l’Autorité nationale, le tribunal relève que les décisions d’inspection « ne sont pas entachées d’illégalité », étant donné que l’Autorité nationale n’avait conduit aucune inspection dans les locaux d’Orange et que sa décision n’avait été prise que sur la base des informations qui lui avaient été volontairement soumises.
Au demeurant, le tribunal constate que les éventuels motifs anticoncurrentiels poursuivis, le cas échéant, par Orange revêtiraient par nature « un caractère secret » et qu’il est ainsi peu probable qu’ils puissent transparaître des données publiques d’Orange et des renseignements fournis à la Commission.
Orange estimait, enfin, que le tribunal devait s’assurer du caractère non arbitraire d’une décision d’inspection en vérifiant si les indices en possession de la Commission étaient suffisamment sérieux et circonstanciés pour justifier l’adoption de la décision et à cet égard, le tribunal considère que si la Commission n’est pas tenue d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, les indices qui la conduisent à envisager l’hypothèse d’une violation des règles de concurrence de l’Union, cela ne signifie cependant pas qu’elle ne doit pas être en possession de tels indices.
Au cas particulier, le tribunal relève que la nature des restrictions de concurrence suspectées était définie dans des termes suffisamment précis et détaillés dans les décisions d’inspection et que ces dernières explicitent en quoi le comportement d’Orange pouvait relever des pratiques suspectées. La Commission reprochait à Orange de possibles « abus de position dominante en raison de pratiques consistant, d’une part, en la limitation de l’accès aux réseaux d’Orange (« tromboning », congestion de ports et restrictions de propagation de routes) et, d’autre part, en la tarification de l’accès à ces réseaux (facturation de l’octroi de capacités supplémentaires, rapports de trafics restrictifs et compression des marges) ».
C’est ainsi que le tribunal conclut « à l’absence de caractère arbitraire des décisions d’inspection » sur la seule base des motifs sous-tendant ces décisions et n’a pas eu besoin d’examiner les indices en possession de la Commission à la date d’adoption des décisions.
(1) Décisions C (2013) 4103 final et C (2013) 4194 final de la Commission du 25 et du 27 juin 2013, relatives à une procédure d’application de l’article 20, § 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, adressées respectivement à France Télécom SA et Orange ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elles.
(2) TUE, 25 nov. 2014, n° T-402/13, société Orange c/ Commissio