Télécoms : la préoccupante dépendance de l’Europe aux câbles sous-marins américains

Revue de Presse

Source : latribune.fr (4 février 2022 )

À la différence de la Chine et de la Russie, le Vieux Continent, grand consommateur des services des GAFA, dépend de plus en plus des câbles sous-marins transatlantiques américains pour le bon fonctionnement de son écosystème numérique. Cette situation a beau inquiéter les pouvoirs publics,

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Les câbles sous-marins sont «  extrêmement stratégiques ». Voici ce qu’on a coutume d’entendre à propos de ces autoroutes de fibre optique qui reposent au fond des mers, et par où transite la quasi-totalité du trafic Internet intercontinental. Cette généralité, Jean-Luc Vuillemin la balaye d’un revers de main.  «  On lit partout qu’on ne pourrait pas fonctionner sans les câbles sous-marins, ce qui est faux », a lancé le directeur des réseaux internationaux d’Orange la semaine dernière, lors d’un débat à l’Institut supérieur d’électronique de Paris (ISEP).

D’après lui, plusieurs États peuvent tout à fait s’en passer, et sont ainsi à l’abri de la menace d’une coupure de câble qui viendrait interrompre les flux numériques internationaux. La Chine, par exemple, pourrait parfaitement fonctionner sans cette infrastructure.  «  Si l’on coupait tous les câbles sous-marins qui relient la Chine au reste du monde, cela n’aurait aucun impact pour l’écrasante majorité de sa population », affirme Jean-Luc Vuillemin. Si l’Empire du milieu peut fonctionner de manière totalement autonome, c’est parce que Pékin développe depuis longtemps  «  une politique d’appropriation du numérique », poursuit-il.  «  Ils ont leurs propres data centers, détaille le dirigeant. Leurs applications et leurs données sont stockées chez eux. Résultat  : ils ne dépendent pas du reste du monde pour leur économie numérique. »

Le risque d’une «  interruption de nation »

On ne peut pas en dire autant de l’Europe. Pour le Vieux Continent, les câbles sous-marins sont devenus vitaux. La raison est simple  :   «  80% du trafic Internet global généré par l’Europe est in fine à destination des États-Unis », constate Jean-Luc Vuillemin.  « L’Afrique est dans la même situation », enchaîne-t-il. À la différence de la Chine, l’Europe s’est massivement convertie aux services des géants américains du Net. Mais surtout, les données des Européens sont largement stockées dans des data centers au pays de l’Oncle Sam. Autrement dit  : sans câbles sous-marins, il est impossible d’y accéder. Si les puissantes liaisons transatlantiques devaient être interrompues, une grande partie de l’écosystème numérique français et européen serait plongé dans le noir. Ce qui serait un désastre pour l’économie.

«  Une coupure de trafic, à ce niveau de dépendance, à ce niveau d’optimisation des processus par les données, est une ‘interruption de nation’, alertait Pierre Bellanger, le PDG de Skyrock, très impliqué dans les problématiques liées à la souveraineté numérique, lors d’une intervention à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), en novembre 2019. C’est le bouton off du pays. »

La Russie relocalise ses ressources numériques

La solution pour remédier à ce problème ? Légiférer, et obliger toutes les entreprises à stocker toutes les données des Européens, et celles dont ils ont besoin, directement sur le Vieux Continent. C’est, d’ailleurs, la voie choisie par la Russie. Moscou a décidé de relocaliser ses ressources numériques sur son territoire. Il y a d’abord une obligation pour les entreprises de stocker localement les données de la population et des entreprises. En parallèle, Moscou a intégré, dans le réseau des opérateurs, des boîtes noires.  «  Celles-ci doivent permettre au FSB, en cas de crise, de contrôler les flux numériques au sein de la Russie », précise Jean-Luc Vuillemin.

Cette situation de dépendance de l’Europe aux câbles sous-marins, en particulier transatlantiques, et de plus en plus américains, s’aggrave. Les énormes investissements des GAFA en témoignent.  «  Aujourd’hui, ils représentent environ 70% des projets », a affirmé Alain Biston, le PDG d’Alcatel Submarine Networks (ASN), au débat de l’ISEP. Autrefois chasse gardée des opérateurs télécoms, les GAFA prennent notamment le pouvoir sur les liaisons transatlantiques entre l’Europe et les États-Unis.  «  Aujourd’hui, ils ont la main sur environ 80% de la capacité sur l’Atlantique, estime Jean-Luc Vuillemin. Avec les câbles qui sont en train d’arriver, leur domination sera quasi-totale, à plus de 95%. »

En Europe, une régulation « au niveau zéro »

Comme beaucoup de pays européens, Paris affiche, depuis quelques années, sa préoccupation concernant cette dépendance aux câbles sous-marins américains. Ce sujet fait partie des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui a débuté au 1er janvier. Il y a, c’est peu dire, du pain sur la planche. En la matière, la précédente présidence portugaise de l’UE n’a pas brillé.  «  Cela n’a été qu’une vaste fumisterie, parce que leurs actions ont essentiellement consisté à promouvoir le Portugal comme terre d’atterrissage des câbles sous-marins, fusille Jean-Luc Vuillemin. Voilà. On est au niveau zéro. » L’Europe est, désormais, plus que jamais attendue au tournant.