Attentats : des salariés inquiets, mais pas au point de cesser le travail

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Source : lesechos.fr (19 Novembre 2015)

Les DRH interrogés par «  Les Echos » font état de salariés choqués par les attentats, mais qui sont venus travailler malgré tout.

«  La France du travail a peur, mais elle travaille ». La formule de Sylvain Niel, avocat au cabinet Fidal et animateur d’un cercle réunissant des DRH de grandes entreprises, résume le constat dressé dans le monde du travail une petite semaine après les attentats .

Certes, au lendemain des attentats, le week-end dernier, l’activité des commerces franciliens a pu ralentir . Etam, par exemple, avait décidé de fermer tous ses magasins d’Ile-de-France le samedi matin et a constaté dans l’après-midi qu’ «  une minorité de salariés » a préféré ne pas venir. Mais depuis lundi, le constat est unanime chez les nombreux employeurs interrogés par «  Les Echos » : en dépit d’une crainte perceptible de prendre les transports en commun – qui se manifeste notamment par des pics de bouchons en région parisienne – ils n’ont pas constaté de poussée marquée d’absentéisme, d’arrêts maladie, de demandes de congés ou de demandes de télétravail. «  Les salariés sont sombres, tristes, mais il n’y a pas de peur particulière », indique-t-on au siège de Total, à la Défense.

Mesures de sécurité renforcées

«  Nous avons pris des mesures de sécurité renforcées. Les voitures qui entrent sur le parking et les sacs de toutes personnes entrant dans les locaux sont systématiquement fouillés », précise Jean-Christophe Sciberras, DRH du groupe franco-belge Solvay. «  Les salariés attendent qu’on prenne des mesures qui les rassurent », poursuit-il.

Un bon équilibre doit toutefois être trouvé : «  Il ne faut pas en faire trop non plus, sinon on alimente la peur. Hier par exemple, lorsque des rumeurs ont circulé sur un possible attentat à la Défense, nous avons choisi de ne pas réagir », indique le DRH d’un grand groupe dont le siège est au cœur des tours du quartier d’affaires. «  Paradoxalement, ce sont les expatriés qui sont loin de Paris, qui sont les plus anxieux. Beaucoup ont souhaité reporter des réunions ou des formations qui étaient prévues à Paris », précise Jean-Christophe Sciberras.

Droit de retrait

Aucune entreprise interrogée n’a toutefois eu de demande de ses salariés ou de ses syndicats pour exercer un droit de retrait. Le Code du travail prévoit en effet un «  droit de retrait » du salarié, qui lui permet de ne pas aller travailler ou de quitter son travail sans «  aucune sanction, aucune retenue de salaire » s’il a «  un motif raisonnable» de penser qu’une situation « présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».

La seule obligation est de prévenir son employeur, y compris a posteriori tant qu’on respecte un délai raisonnable, ce dernier n’étant toutefois pas défini par la loi. Mais tout repose sur la notion de «  motif raisonnable », qui n’est pas précisément définie par la loi et dont l’appréciation, en cas de conflit, est du ressort du juge prud’homal.

Saisir le CHSCT d’un droit d’alerte 

Pour Franck Morel, avocat associé au cabinet Bartélémy, il est difficile pour un salarié de l’évoquer dans le cas présent, en dépit de l’instauration de l’état d’urgence ou des risques exprimés par les pouvoirs publics de nouveaux attentats. La question n’est pas : y-a-il des risques d’attentats, mais «  est-ce que se trouver sur mon lieu de travail et travailler accentue ce risque ? » Sylvian Niel, du cabinet Fidal, porte la même analyse : «  L’état d’urgence ne constitue pas à lui seul un «  danger grave et imminent » tel qu’évoqué par le Code du travail » .

Un salarié qui évoquerait ce droit sans motif valable s’exposerait à des sanctions qui peuvent aller jusqu’au licenciement. Si certains – par exemple des conducteurs de trains ou de métros – estiment que leur protection n’est pas assez assurée, «   ils peuvent saisir leur comité hygiène et sécurité (CHSCT) d’un droit d’alerte », rappelle Sylvain Niel.

Pas de pic d’arrêts de travail

Cela n’empêche que certaines personnes ont bien été traumatisées par les attentats. «  Ils ont besoin d’anxiolytiques et d’écoute », souligne Serge Smadja, secrétaire général de SOS médecins. « Certains demandent un arrêt de travail, mais ils sont peu nombreux ». Parmi eux, des témoins directs d’une fusillade ou bien des personnes qui comptent des victimes dans leur entourage. Mais «  on ne peut pas dire que cela provoque un pic d’activité pour SOS Médecins, ni même un pic d’arrêts de travail », conclut ce médecin.