Pourquoi les opérateurs télécoms mettent les bouchées doubles dans la fibre

Archives Les Brèves

Source : latribune.fr (21 mars 2016)

Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom veulent accélérer leurs investissements dans le très haut débit fixe. Pour chacun d’eux, il s’agit surtout de ne pas se faire dépasser par la concurrence. Et a minima, de préserver leur part de marché. Explications.

Pas question de se retrouver sur la touche. Lors de la présentation de ses résultats annuels, la semaine dernière, Free a précisé ses ambitions en matière de très haut débit fixe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles sont très élevées. L’opérateur de Xavier Niel dispose aujourd’hui de 2,5 millions de prises FTTH (pour Fiber to the home, ou fibre optique jusqu’à l’habitant). Il veut atteindre les 9 millions de logements raccordables d’ici à 2018, et grimper jusqu’à 20 millions en 2020. Si l’opérateur table sur une enveloppe d’investissements presque inchangée cette année par rapport à 2015 (à un peu plus de 1,2 milliard d’euros), il assure que la part dédiée au déploiement de la fibre sera plus importante. Pour autant, il ne précise pas dans quelle mesure. Et contrairement à ses concurrents, il ne dit rien des montants consacrés à la fibre les années suivantes.

Reste que pour Free, comme pour Orange, SFR et Bouygues Telecom, investir dans ce nouveau réseau fibré est devenu stratégique. Dans quelques années, celui-ci doit remplacer le vieux réseau cuivré. Il doit permettre d’offrir aux habitants et aux entreprises un Internet ultrarapide – avec un débit égal ou supérieur à 100 mégabits par seconde (Mbit/s), contre moins de 30 Mbit/s pour l’ADSL traditionnel. Avec l’essor de la consommation de vidéos et du streaming, la multiplication des écrans à la maison, ou la croissance de nouveaux services hébergés dans le cloud (informatique dématérialisée), le besoin en bande passante va en effet crescendo. « Il y a cinq ans, la fibre optique était un produit surtout destiné aux technophiles ultra-connectés. Mais petit à petit, cette technologie se mue en produit de masse », constate Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms chez BearingPoint.

1,4 million d’abonnés à la fibre

Cette tendance, l’Arcep l’a confirmée au début du mois. D’après le régulateur des télécoms, il y a désormais plus de 1,4 millions de Français abonnés à la fibre (+55% en un an). Un chiffre qui se situe dans le sillage du nombre de foyers raccordables – qui disposent d’une prise fibre optique à la maison -, lequel a passé la barre des 5,6 millions (+38% sur un an). Le régulateur ne s’y trompe d’ailleurs pas : pour favoriser les investissements et la bascule vers le réseau fibré, il a décidé fin 2015 d’augmenter le prix de l’utilisation du réseau cuivré pour les opérateurs. Surtout, ces derniers ont pris des engagements dans le cadre du plan France très haut débit. Initié en 2013 par le gouvernement, ce programme à 20 milliards d’euros (dont 13 à 14 milliards d’argent public) doit offrir à tous les Français une connexion ultrarapide d’ici à 2022.

Dans ce contexte, les quatre grands opérateurs de l’Hexagone sont contraints d’investir des milliards d’euros dans la fibre. S’ils ne le font pas, ils prennent le risque de perdre des wagons de clients d’ici quelques années. Cela vaut aussi pour abonnés mobiles, puisque les Français privilégient de plus en plus les offres dites « convergentes », mêlant la fois la téléphonie, l’Internet et la télévision. Mais malgré cet impératif d’investissements, les opérateurs misent sur la fibre de manière contrastée. Opérateur historique et numéro un des télécoms en France, Orange a sorti l’artillerie lourde. D’ici à 2018, il compte débourser « 3 milliards d’euros par an [dans l’Hexagone, Ndlr], essentiellement sur le grand dossier du FTTH » a rappelé Stéphane Richard, son PDG, en juillet dernier. « Nos objectifs ? Déployer la fibre pour atteindre 12 millions de logements raccordables d’ici à 2018, et 20 millions en 2022 », a précisé le grand patron lors du deuxième anniversaire du Plan France très haut débit.

Orange et SFR en pole position

Si Orange ne lésine pas sur les moyens, c’est qu’il ne veut pas se faire damer le pion par SFR sur ce dossier brûlant. De fait, ce dernier est l’actuel leader du très haut débit en France. Pourquoi ? Parce qu’il couvre déjà un tiers de la population française en « câble modernisé » (permettant d’atteindre les 100 Mbits/s), grâce à Numericable avec qui il a fusionné l’an dernier. A ce jour, SFR affiche donc 7,7 millions de foyers couverts en très haut débit, même si une petite partie l’est en
FTTH. Propriété de Patrick Drahi, SFR compte bien consolider sa place de numéro un. En juillet dernier, Eric Denoyer, l’ex-chef de file du groupe, souhaitait atteindre les « 15 millions de foyers couverts en très haut débit d’ici à 2020 ». Pour ce faire, le groupe va débloquer « entre 1,5 à 2 milliards d’euros par an », a-t-il indiqué. Même si cette enveloppe compte aussi les gros investissements nécessaires dans son réseau mobile 4G, lequel s’est dégradé au moment de la fusion Numericable-SFR.

Du côté de chez Free, les objectifs ambitieux en matière de couverture en FTTH dévoilés la semaine dernière étaient attendus. Pour lui, la bascule vers la fibre est fondamentale. Historiquement, le « trublion » a surtout fait mal aux opérateurs télécoms fixes dans les zones denses (c’est-à-dire les grandes et moyennes villes) avec des offres low cost. « Mais aujourd’hui, si les clients demeurent sensibles au prix, ils sont de plus en plus tentés par le très haut débit même si cela alourdit la facture. Du coup, Free doit rapidement déployer son réseau FTTH pour ne pas se laisser dépasser par Orange et SFR dans les grandes villes », analyse Sylvain Chevallier

De lourds investissements

Bouygues Telecom, en revanche, ferme la marche sur le front du très haut débit fixe. Olivier Roussat, le PDG de l’opérateur n’en fait d’ailleurs pas mystère. Lors du deuxième anniversaire du plan France très haut débit, il en a plaisanté : « Je ne sais pas quelle position [Bouygues Telecom, Ndlr] a dans le train [du très haut débit]… Peut-être la dernière ! » Il faisait ainsi écho à Stéphane Richard, qui a présenté Orange comme la « locomotive » du secteur à ce sujet. A cette occasion, Olivier Roussat a évoqué des objectifs bien moindres que ses concurrents, avec un objectif de 10 millions de prises FTTH d’ici à 2020. Et ce, sans indiquer combien il dépenserait pour l’atteindre.

Aux dires d’un dirigeant concurrent à La Tribune, c’est ce point crucial qui expliquerait pourquoi Martin Bouygues veut vendre sa filiale télécoms à Orange. « La fibre, ça coûte beaucoup d’argent, et ils n’ont pas vraiment commencé. Je pense qu’ils ont compris que l’ADSL pas cher comme ils le font aujourd’hui, cela peut encore avoir des effets pendant un an ou 18 mois. Mais à terme, les Français vont rechercher du débit, et pas à économiser 3 euros [sur leur abonnement]. » Il faut dire que si les télécoms ont toujours été une industrie de coûts fixes très gourmande en investissements, les opérateurs doivent aujourd’hui à la fois dépenser des fortunes dans leurs réseaux fixes et mobiles. A ce petit jeu, les plus gros acteurs peuvent logiquement amortir ces sommes plus facilement que leurs homologues plus petits. Quoi qu’il en soit, la bataille de la fibre est bien loin d’être terminée.