La «  loi travail », beaucoup de bruit pour rien ?

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Source : lemonde.fr (20 mai 2016)

Une fois de plus, on ne parle que d’elle. Des blocages de chauffeurs routiers à la grève des cheminots, en passant par les manifestations à Paris et en province, la semaine a été placée sous le signe de la contestation de la « loi travail ». A l’appel de quatre syndicats de salariés (CGT, FO, FSU, Solidaires) et de trois organisations d’étudiants et de lycéens (UNEF, UNL et FIDL), les opposants à la réforme de la ministre Myriam El Khomri dénoncent un « déni de démocratie ». Ils continuent d’exiger le retrait du texte, une semaine après que le gouvernement a engagé sa responsabilité à son sujet, en dégainant l’article 49.3, le 10 mai.

Malgré un relatif essoufflement du mouvement par rapport aux précédentes journées de mobilisation, force est de constater que ces protestations trouvent un écho dans la population : plus d’un Français sur deux les soutient et près des deux tiers souhaitent que le gouvernement revienne sur le texte, selon un sondage BVA pour Orange et i-Télé, publié dimanche 15 mai. François Hollande l’a pourtant martelé, mardi 17 mai, lors de son grand oral sur Europe 1 : « Cette loi va passer. »

Au-delà des rapports de force politiques et de l’inquiétude légitime de salariés marqués par huit années de crise, qui se souvient encore que la loi El Khomri était, à l’origine, destinée à redonner de la flexibilité au marché du travail pour, finalement, créer de l’emploi ? Avec elle, il s’agissait, certes, de redorer le blason de l’Hexagone sur une scène internationale où la rigidité du marché du travail français était sans cesse soulignée. Mais aussi de « sortir de l’habitude, prise en France, du chômage de masse » et de « tenter tout ce qui n’a pas été tenté ».

Vives critiques

C’est Manuel Valls qui le disait, fin février, alors que, déjà, la mobilisation des syndicats contre un projet mal présenté et mal ficelé était vive. Près de trois mois plus tard, revirements, tergiversations et décisions à l’emporte-pièce ont totalement brouillé le message. « On ne peut pas dire qu’on crée de l’emploi avec une seule loi », a éludé le chef de l’Etat, mardi.

Du côté des entreprises, les critiques de la loi sont tout aussi vives. L’Association des entreprises privées, qui représente les multinationales françaises, dénonçait, le 12 mai dans Les Echos, par la voix de son président, Pierre Pringuet, une « nouvelle occasion manquée de faire une vraie réforme du marché du travail ». Le Medef, lui, initialement favorable à la réforme, et dont la position s’est durcie sous la pression d’une partie de ses adhérents, fustige « un texte décevant qui n’aura pas d’incidence sur la création d’emplois ».

Il y a pire qu’une réforme ratée, c’est la façon dont on la rate

L’appréciation des économistes est plus nuancée. L’institut de conjoncture Coe-Rexecode, pourtant proche du patronat, évoque un « impact positif sur l’emploi ». En abaissant le coût du travail, « le renforcement de la négociation au niveau de l’entreprise sur la durée du travail et sur les majorations des heures supplémentaires est susceptible d’entraîner un surcroît d’au moins 50 000 emplois », indique Denis Ferrand, le directeur général de l’institut.

Une estimation encore théorique, mais non négligeable, si on la compare aux quelque 122 000 emplois marchands créés par l’économie française en 2015. La clarification des critères du licenciement économique selon la taille de l’entreprise, elle, devrait – si elle n’est pas retoquée par le Conseil constitutionnel – augmenter les flux d’embauches en contrat à durée indéterminée de 300 000 par an, note l’institut. Il s’agira, toutefois, pour l’essentiel d’un « effet de substitution à des contrats à durée déterminée ».

« Une coquille vide »

« Le texte, qui devait promouvoir une flexisécurité à la française, n’a pas réussi à trouver un équilibre entre flexibilité du marché du travail et sécurité des salariés », souligne, de son côté, Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) – organisme classé à gauche. A une facilitation du licenciement devrait répondre soit un filet de sécurité social renforcé, soit la certitude de retrouver un emploi rapidement, observe-t-il. Or la France ne peut aujourd’hui offrir ni l’un ni l’autre. Quant au compte personnel d’activité, censé faciliter le décompte des droits à la formation des salariés tout au long de leur vie, c’est « une coquille vide », selon M. Heyer, qui déplore le flou qui entoure ce nouvel instrument.

Il y a pire qu’une réforme ratée, c’est la façon dont on la rate. « Ce qui était important avec la loi El Khomri, au moins autant que le fond, c’était le signal qu’elle envoyait », souligne Ludovic Subran, économiste en chef chez Euler Hermes. Même peu ambitieux, un premier texte de réforme du marché du travail bien ficelé aurait pu constituer un appel du pied aux investisseurs internationaux qui hésitent à s’intéresser à la France.

Las, la confusion et les tensions des dernières semaines ont eu l’effet inverse. Vu de l’étranger, l’Hexagone apparaît une fois de plus comme ce pays turbulent, incompréhensible, impossible à moderniser. Vu de l’intérieur, le fossé avec l’exécutif n’a, semble-t-il, jamais été aussi profond.