La loi El Khomri casse-t-elle vraiment le Code du travail?

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Source : challenges.fr (17 mai 2016)

Licenciement, heures supplémentaires, rémunération… Le point sur les vrais changements de la loi Travail, alors que les syndicats contestataires organisaient ce 17 mai une sixième journée d’action contre la réforme.

émunération… Le point sur les vrais changements de la loi Travail, alors que les syndicats contestataires organisaient ce 17 mai une sixième journée d’action contre la réforme.

La CGT crie à la « casse du Code du travail » et le Medef fustige « un texte décevant qui ressemble à de l’immobilisme ». Après des semaines de polémiques et de mobilisation, difficile de s’y retrouver dans le débat sur la loi Travail. Le 17 mai, sept syndicats et organisations de jeunes appelaient à une nouvelle journée d’action contre la réforme. « Le mot d’ordre est plus que jamais le retrait du projet de loi, martèle Philippe Martinez, leader de la CGT. C’est la colonne vertébrale du texte qui est mauvaise et qui organise le dumping social ».

Que va vraiment changer la loi Travail? « Ce texte ne mérite ni un excès de louanges ni un excès d’indignité, juge Franck Morel, avocat et coauteur d’Un autre droit du travail est possible (Fayard). Cela aurait pu être une réforme structurelle de notre marché du travail, c’est devenu une compilation de mesures techniques, parfois utiles ». Il faut dire qu’entre son lancement chaotique en février, la réécriture express par Matignon sous l’œil de la CFDT et les retouches à l’Assemblée nationale, la loi Travail a été largement remaniée.

Les licenciements économiques sont allégés

La mesure, qui a mis le feu aux poudres, a été ajustée mais maintenue. Elle précise les critères des licenciements économiques, afin de limiter la liberté d’appréciation des juges en cas de recours devant les tribunaux. Une PME de moins de 11 salariés pourra procéder à des licenciements économiques dès lors qu’elle subit une baisse de son chiffre d’affaires pendant un trimestre, une entreprise de 11 à 50 salariés pendant deux trimestres, celle de 50 à 300 salariés pendant trois trimestres et celle de plus de 300 salariés pendant quatre trimestres. « Ce type de réforme peut diminuer l’emploi à court terme, relèvent les économistes de COE-Rexecode. Mais il en résulte une amélioration de la productivité qui stimule à son tour la croissance, puis l’emploi ».

Le gouvernement a, en revanche, renoncé à retenir le périmètre national des grandes entreprises pour jauger de leurs difficultés et justifier d’éventuels licenciements économiques. Un revers pour l’Association française des entreprises privées (Afep) qui y voyait un moyen d’attirer les grands groupes étrangers en France.

Les accords d’entreprise priment pour les heures supplémentaires

C’est le changement qui reste en travers de la gorge des députés frondeurs et des syndicats contestataires. L’article 2 de la loi consacre la primauté des accords d’entreprise sur ceux des branches professionnelles en matière de temps de travail. En 2008, la droite avait déjà largement ouvert la brèche sans que les entreprises s’y engouffrent.

Principale nouveauté : avec l’accord de syndicats représentant plus de 50% du personnel, les employeurs pourront payer les heures supplémentaires 10% de plus que les heures normales, contre 25% généralement autorisés aujourd’hui par les branches. En période de surchauffe, la journée maximale de travail pourra être portée à 12 heures et la durée moyenne hebdomadaire à 46 heures sur douze semaines. Lorsqu’un accord sera signé par 30 % des syndicats, ces derniers pourront le faire valider par un référendum interne. Une réponse aux situations comme celle de Smart, en Moselle, où le retour aux 39 heures avait été approuvé par 56% des salariés mais rejeté par les syndicats.

Afin de détecter tout dumping social entre entreprises d’un même secteur, les branches professionnelles effectueront un bilan annuel des accords signés. Dans les PME sans syndicaliste, des salariés devront être « mandatés » par un syndicat pour signer l’accord ou, à défaut, celui-ci sera validé par les représentants syndicaux de la branche. Une mesure défendue de longue date par la CFDT mais qui va tuer la réforme, à en croire le Medef et la CGPME. « Les patrons ne prendront pas le risque de négocier des accords pour voir les syndicats débarquer », confie un dirigeant du Medef.

Les « accords de compétitivité » peuvent baisser la rémunération

Une entreprise qui anticipe des difficultés ou décroche un marché pourra, avec l’accord des syndicats majoritaires, modifier le temps de travail et revoir les rémunérations de ses salariés pendant plusieurs années (cinq ans maximum). Et ce même si ces changements ne respectent pas les contrats de travail des salariés. C’est la philosophie des nouveaux accords « de préservation ou de développement de l’emploi ». A priori, la rémunération mensuelle ne sera pas touchée, mais des primes pourront sauter.

« Le problème, c’est que le salarié qui refusera l’accord sera licencié pour motif économique et pourra aller devant les tribunaux, pointe Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille. Ce qui va limiter l’appétit des patrons pour ces accords ». Afin de limiter les risques de contentieux, la loi évoque un « motif spécifique » pour ces licenciements.

Les nouveaux droits sont embryonnaires

A entendre le gouvernement, c’est une grande avancée sociale. En 2017, chaque salarié aura son compte personnel d’activité qui rassemblera le compte personnel de formation, le compte de pénibilité et celui sur l’engagement citoyen, qui recense les activités bénévoles. Concrètement, les salariés y accumuleront, tout au long de leur carrière, des droits à la formation ou à une retraite anticipée. Et ils les conserveront même s’ils changent d’employeur.

Quelque vingt-quatre heures de formation seront engrangées chaque année dans la limite de cent cinquante heures et quarante-huit heures pour les non diplômés avec un plafond de 400 heures. Usine à gaz ou première pierre à une sécurité sociale professionnelle? « Si la France veut se doter d’une véritable flexisécurité à la scandinave, elle devra muscler ce volet “sécurité” », estime Eric Heyer, économiste à l’OFCE. Une insuffisance qui explique, en partie, les déboires de cette loi travail.