Cour des comptes : « Il manque 15 milliards pour financer le plan France Très Haut Débit »

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Source : lagazettedescommunes.com (31 janvier 2017)

Dans un rapport publié le 31 janvier, la Cour des comptes estime que le coût du Plan France Très haut débit va passer de 20 à 35 milliards. Elle juge aussi que l’objectif de raccordement de tous les foyers en 2022 ne sera pas en mesure d’être tenu.

C’est la première fois que la Cour des comptes se prononce sur les réseaux fixes haut et très haut débit. Et ce premier rapport fait l’effet d’une douche froide ! Alors que la Commission européenne a acté le Plan France Très Haut Débit (PFTHD), que les quatre grands opérateurs ont déclaré qu’ils viendraient sur les réseaux d’initiative publique déployés par les collectivités, la Cour des comptes, elle, estime qu’il est encore temps de revoir les conditions de ce plan pour ne pas se trouver dans une impasse après 2022. Elle souligne ainsi que « ces modifications d’objectifs sont guidées par le souci d’une maîtrise des coûts et des délais. »
15 milliards de plus que prévu

Le PFTHD prévoit un investissement total de 20 milliards d’euros pour couvrir à l’horizon 2022, 100 % de la population en très haut débit, dont 80 % avec de la fibre optique (avec la technologie FttH).

Le rapport de la Cour, lui, considère pourtant qu’une « estimation totale de l’ordre de 35 milliards d’euros est plus proche de la réalité des investissements qui seront réalisés (raccordement final inclus) à échéance de tous les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique (autour de 2030). »

Les investissements en zone d’initiative publique, c’est-à-dire les RIP, en représenteraient près de 24 milliards. Une telle différence s’explique notamment par le fait que le PFTHD ne prend pas en compte le coût du raccordement final, pourtant indispensable pour que les abonnés accèdent au service. Ce coût de raccordement est estimé aux alentours de 10 milliards, dont 6 milliards rien que pour les RIP.
D’abord 6,5 milliards pour les collectivités…

Sur les 24 milliards que coûteraient les RIP, 11,8 milliards étaient engagés en mai 2016, dont onze provenaient de soutiens publics. Les collectivités, avec 6,5 milliards, avaient déjà fourni un effort deux plus important que les prévisions initiales (3,4 milliards). Toutefois, le co-investissement ne représentait pas les 3 milliards escomptés mais seulement 1 milliard.

… puis 12 milliards de plus après 2022

De plus, la Cour estime que, même si la fibre est installée aux 20 % des prises non inclues dans le PFTHD, « il resterait toujours à déployer et à raccorder près de 7 millions de prises optiques d’ici 2022. […] La phase « au-delà du Plan » devrait représenter une enveloppe d’investissements de l’ordre de 12 milliards.

Et la Cour des comptes d’enfoncer le clou : « cette phase ne fait aujourd’hui l’objet d’aucun plan de financement : il appartiendrait alors aux collectivités territoriales de mobiliser 12 milliards euros de ressources publiques ou privées soit en recourant à l’emprunt, soit en bénéficiant rapidement de souscriptions à leurs réseaux. »

Un objectif à 2022 probablement non respecté

La Cour ajoute que l’objectif intermédiaire du PFTHD, qui prévoit de couvrir 50 % de la population en 2017 sera atteint, notamment grâce aux investissements des opérateurs en zone d’initiative privé (où les RIP n’interviennent pas). En revanche, elle juge que « l’atteinte de l’objectif de couverture à 100 % des logements en très haut débit fixe à horizon 2022 et à 80 % en fibre optique paraît compromise. »

En effet, « plus de sept millions de prises en fibre optique à destination de l’abonné en zone d’initiative publique devraient encore être déployées, c’est-à-dire à un rythme cinq fois supérieur à celui connu jusqu’à présent » insiste le rapport.
Remise en cause du tout-fibre optique

Face à ces constats, la Cour des comptes recommande donc à l’Etat de « compléter et actualiser, au vu des résultats atteints, les objectifs du Plan France très haut débit en augmentant l’objectif de recours aux technologies alternatives à la fibre optique jusqu’à l’abonné ».

En résumé, couvrir 80 % de la population en fibre optique est trop coûteux et trop long. Mieux vaut donc, selon elle, faire monter en débit les réseaux cuivre, utiliser des réseaux satellites ou radio…

De nombreuses réactions en désaccord avec la Cour des comptes

Dans les réponses des administrations et collectivités, on peut noter de fortes oppositions. « A ce jour, aucun élément n’invite à considérer que l’objectif de couverture en très haut débit de l’ensemble des locaux d’ici 2022 soit hors de portée », affirme ainsi les services du Premier ministre.

Isabelle de Silva, la présidente de l’Autorité de la concurrence, souligne qu’il faut « en particulier examiner dans quelle mesure le recours à une technologie moins pérenne que la fibre risquerait de décourager l’investissement privé, ou de retarder l’accès des zones considérées aux technologies les plus performantes. »

L’Autorité de Régulation des Communications électroniques et des Postes (ARCEP) rappelle, elle, que la fibre est le choix de l’industrie pour répondre à l’évolution du marché et des besoins. « La France ne peut pas faire l’économie d’une politique ambitieuse de déploiement des réseaux à très haut débit, donc d’une infrastructure nouvelle garantissant la possibilité de produire des débits de plus en plus élevés (de 100 Mbit/s à plusieurs gigabits) et symétriques à terme » explique-t-elle.

Et surtout, elle estime que « les sommes en jeu pour le déploiement de l’infrastructure FttH semblent d’ailleurs raisonnables, a fortiori au regard des budgets mobilisés pour la réalisation d’infrastructures plus traditionnelles. »

Focus
Quatre recommandations aux collectivités

Sur les onze recommandations formulées par la Cour des comptes, quatre concernent directement les collectivités :

    • Renforcer le suivi de la performance des réseaux d’initiative publique en calculant leur taux de retour sur investissement
    • Renforcer le pilotage du programme en mettant en œuvre un parangonnage contractuel, juridique et financier
    • Regrouper et mutualiser au niveau régional les fonctions à forte valeur ajoutée, voire l’ensemble des fonctions des réseaux d’initiative publique
    • Traiter explicitement l’enjeu de sécurité et de résilience des réseaux

Références
Le rapport de la Cour des comptes sur le Plan Très haut débit