Robotisation : il faudra rendre le travail plus humaniste

Revue de Presse

Source : lusbeketrica.com (8 avril 2019)

Pour Robin Coulet, cofondateur de Conversationnel, l’éducation, la formation et la recherche doivent favoriser la transition vers une société où le travail se fera en collaboration avec les machines.

Dans un contexte d’automatisation et de robotisation, on estime qu’entre 75 et 375 millions de personnes vont devoir changer de travail d’ici 2030 dans le monde. Elles seront par ailleurs infiniment plus nombreuses à devoir modifier leur manière de travailler, notamment pour y intégrer les robots et l’Intelligence Artificielle  : un tiers des tâches que nous effectuons aujourd’hui peuvent être automatisées. Il nous reste donc à tirer le meilleur parti de ces collaborations homme-machine d’un nouveau genre.

Les robots d’ores et déjà au travail

Nous travaillons déjà avec des robots. Ils accomplissent pour nous des tâches itératives à faible valeur ajoutée – transcrire nos messages, stocker et classer des documents, etc. –, ainsi que des tâches plus complexes – faire des recherches, observer des similarités et des différences, etc. La question de leur intégration dans le monde du travail a cessé de se poser avec l’invention de la calculatrice.

Parce que la tendance ne peut que s’intensifier à l’avenir – on estime en effet que 47 % de nos emplois seront automatisables d’ici à 2050 –, le vrai défi pour demain est la façon dont nous travaillerons avec des robots, sachant qu’il n’y a pas deux économies, une robotisée et l’autre humaine. Il n’existe qu’une seule économie dont les capacités de production, tous secteurs confondus, s’étendent à géométrie variable entre l’humain et la machine.

Les robots seront bientôt des entités, des collègues de travail à part entière. Ils auront pour certains une enveloppe corporelle dont les modalités restent ouvertes à l’imagination. Des robots humanoïdes troublants de ressemblance existent. Le robot–livreur autonome de FedEx crée la sensation  : il est la moissonneuse-batteuse des temps modernes, libérant de travaux parfois difficiles.

Les robots, futurs employés du mois ?

Travailler avec des robots et des intelligences artificielles est avant tout une opportunité de progrès massif pour les humains. Metropolis, 2001 l’Odyssée de l’Espace, Matrix, Terminator ou encore I-Robot ont participé à forger un inconscient collectif dans lequel les robots sont une mauvaise chose. Or les robots possèdent deux qualités absolument impensables avant leur avènement, comme le rappelle Yuval Noah Harari dans son dernier ouvrage.

Les IA, et les robots, si on les programme en ce sens, ne connaissent ni choc des cultures, ni défaillances géographiques, n’ont pas besoin de repos et se moquent du décalage horaire. Ils peuvent aisément fonctionner en réseau, partout ; se mettre à jour et se synchroniser automatiquement et en temps réel, ce qu’aucun groupe humain ne peut faire. Ce que les robots vont nous faire gagner en efficacité est donc gigantesque, imbattable et inéluctable. Il ne faudra pas compter sur l’économie de marché pour s’en plaindre.

Algorithme et apprenti

A l’expression Intelligence Artificielle, certains préfèrent «  Intelligence augmentée ». Les IA et les robots vont déjà beaucoup plus vite que nous. Or, c’est aujourd’hui que nous devons façonner nos futurs collègues. Et de la manière dont nous utiliserons l’algorithme – plutôt que nous le subirons – dépendront directement le mode de coopération et le travail que nous inventerons.

Les géants du secteur misent désormais sur la diversité pour entraîner leurs algorithmes et notamment extirper les biais racistes et sexistes des logiciels

C’est là que les choses se compliquent. Les exemples d’IA devenues racistes et misogynes au contact des adeptes de Twitter, quelques heures seulement après leur mise en service, ont défrayé la chronique – pour leur défaillance, mais aussi et surtout pour ce qu’elles disent de nous. Le principal risque n’est pas que Skynet, l’IA malveillante de Terminator, décide d’en finir avec l’humain ; le risque dépend en effet de l’intention de son inventeur et de l’entrainement qu’il lui donnera. Les géants du secteur, sortis peu glorieux de ces épisodes, misent désormais sur la diversité pour entraîner leurs algorithmes et notamment extirper les biais racistes et sexistes des logiciels de diagnostic ou d’aide à la décision. Mais il n’y a pas que les robots et les IA qui doivent faire l’objet de toutes les attentions.

Les robots nous obligent vis-à-vis des humains

Dans les faits, le duo humain-machine fonctionne déjà  : de la sécurité (reconnaissance faciale, par exemple) à la santé (télémédecine), en passant par la logistique (préparation de commande), ces duos s’immiscent subrepticement dans le travail, à une vitesse de déploiement bien supérieure que celle d’un amendement exécutif.

L’ensemble du système éducatif, d’insertion et de professionnalisation doit prendre en compte une nouvelle conception du travail

Pour que cette nouvelle révolution industrielle soit porteuse de progrès, il faut de l’audace et une mobilisation qui dépasse le cadre de l’entreprise. Si on ne veut pas exclure définitivement de nombreuses personnes du marché du travail, l’ensemble du système éducatif, d’insertion et de professionnalisation doit prendre en compte une nouvelle conception du travail  : accéléré ou amoindri par la robotisation.

Envoyer les individus en formation de manière régulière n’est faisable que si on crée les conditions dignes de ces évolutions régulières. Des formations abordables, un soutien financier pour les plus vulnérables, des systèmes de garde d’enfant performants et des transports qualitatifs qui permettent de changer de travail, de lieu de formation, voire de logement sans se confronter à des difficultés massives… Un enjeu très ancien, rendre le travail de tous digne, redevient urgent grâce aux robots et aux IA.

Aucun pays n’est prêt, c’est la conclusion du  «  Automation Readyness Index » édité par The Economist Intelligence. Cet indice qui doit mesurer le degré de préparation des économies et des personnes face au changement note que seule une poignée de pays agit sur l’éducation, le rôle de la formation et la recherche pour favoriser la transition pour les travailleurs. La France n’en fait pas partie.