Entre Orange et l’Arcep, une fragile paix des braves

Revue de Presse

Source : latribune.fr (30 septembre 2019)

Stéphane Richard, le PDG d’Orange (à gauche), et Sébastien Soriano, le président de l’Arcep. (Crédits : Reuters) Si l’opérateur historique a récemment mis de l’eau dans son vin en retirant une plainte constitutionnelle visant le pouvoir de sanction du régulateur des télécoms, les relations demeurent difficiles entre les deux acteurs.

Les rapports entre Orange et l’Arcep ont souvent été électriques. Ce n’est pas, en soi, franchement anormal. Depuis l’ouverture à la concurrence des télécoms en 1998, la tâche de l’Arcep est de réguler le secteur. Donc pour l’essentiel de réguler l’ex-France Télécom, l’ancien monopole d’Etat, pour permettre à ses rivaux de s’installer et de croître sur le marché. C’est notamment grâce à l’Arcep qu’aujourd’hui, il n’y a plus un, mais quatre opérateurs d’envergure nationale en France. Même si Orange reste, et de loin, le numéro un du secteur. C’est en particulier le régulateur qui a organisé l’ouverture du réseau cuivre d’Orange à la concurrence, et a permis aux SFR, Bouygues Telecom et Free de commercialiser leurs offres ADSL.

Ces mesures de l’Arcep ont constitué une potion amère pour l’opérateur historique, qui a été contraint de se réorganiser profondément, et souvent dans la douleur. Rien d’illogique, dans ces circonstances, à ce que les deux acteurs ne soient pas les meilleurs amis du monde. Toutefois, les crispations sont allées crescendo depuis 2015 et l’arrivée de Sébastien Soriano à la présidence de l’Arcep. Avec lui, l’institution a changé sa manière de faire. A la différence de son prédécesseur, Jean-Ludovic Silicani, Sébastien Soriano est très présent dans les médias. Il assume de prendre régulièrement la parole dans la presse, y compris dans les titres spécialisés, pour exercer une pression continue sur les opérateurs. A ses yeux, l’Arcep ne fait que se mettre au niveau des Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, qui comptent parmi les plus puissantes entreprises de l’Hexagone, et sont rompues à l’art d’influencer l’opinion à travers les médias.

Le spectre d’une amende colossale

Résultat  : dans les journaux, Orange a fait l’objet de plusieurs piques de Sébastien Soriano ces dernières années. Les discussions en coulisse se sont transformées, en quelque sorte, en débats publics. Ce qui a, à maintes reprises, fait sortir de ses gonds Stéphane Richard, le patron de l’opérateur historique. En janvier 2017, Sébastien Soriano a fait parler la poudre. Dans le quotidien Les Echos, il a estimé nécessaire de s’ «  attaquer (aux) derniers bastions de monopole [d’Orange], que sont le marché entreprise et la boucle locale fixe ». Très énervé, Stéphane Richard a répliqué, d’un ton lapidaire, sur Twitter.

« (Sébastien Soriano)  : la France en retard sur le THD [l’Internet fixe à très haut débit, Ndlr], il faut donc s’attaquer à (Orange), seul opérateur qui investit massivement. Cherchez l’erreur », a-t-il canardé.

L’an dernier, une autre sortie de l’Arcep l’a copieusement agacé. La veille de la publication des résultats du troisième trimestre 2018 d’Orange – un moment très important pour l’opérateur, ses investisseurs et les analystes financiers -, l’Arcep jette un pavé dans la mare. L’institution tacle Orange sur la  «  dégradation progressive de la qualité de service » de son offre de téléphonie fixe, qu’il a l’obligation d’apporter à tous les Français via son réseau cuivre. Pis, elle brandit la menace d’une amende de 1 milliard d’euros ! L’état-major d’Orange est furieux. Si le coup de sifflet de l’Arcep est légitime, sa manière de faire irrite. Chez l’opérateur, on estime qu’elle nuit à l’entreprise et à son cours de Bourse, qui végète depuis des années entre 13 et 15 euros, au grand dam de Stéphane Richard.

La menace d’une  «  séparation fonctionnelle »

En juillet dernier, l’Arcep tire une nouvelle cartouche. Dans nos colonnes, Sébastien Soriano indique qu’il réfléchit à modifier sa régulation d’Orange. Il pose clairement la question d’une  «  séparation fonctionnelle ». Cette mesure, qualifiée d’ «  arme nucléaire » par le régulateur, fait figure d’épouvantail pour l’opérateur. L’idée serait, selon Sébastien Soriano,  «  d’obliger Orange, sur le marché des entreprises [largement dominé par l’opérateur, Ndlr], à séparer très fortement les entités en charge de la vente en gros de celles en charge de la vente au détail ».

Orange a laissé passer l’été. Avant de sortir l’artillerie lourde à la rentrée. Sans prévenir l’Arcep, il a déposé au Conseil d’Etat une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour contester, et possiblement mettre à bas, rien de moins que le pouvoir de sanction du régulateur. A l’Arcep, la pilule ne passe pas. Dans nos colonnes, Sébastien Soriano répond du tac au tac. Si son pouvoir de sanction devait disparaître, alors, menace-t-il, il faudrait revoir toute la politique française de régulation des télécoms. Et pourquoi pas faire comme au Royaume-Uni, et  «  couper l’opérateur historique en deux », en séparant ses activités de services (la vente d’abonnements au détail) de celles gérant l’accès au réseau. Ambiance !

En fin de semaine dernière, Sébastien Soriano et Stéphane Richard se sont finalement rencontrés. Ils ont décidé d’enterrer la hache de guerre. Orange a accepté de retirer sa QPC,  «  créant ainsi les conditions de retour à un dialogue apaisé », a indiqué le régulateur dans un communiqué. Mais pour combien de temps ? Si Orange estime que son ras-le-bol d’être pris pour cible a été entendu, un de ses responsables affirme  «  qu’il y a toujours un problème de droit concernant l’Arcep, que la question que nous posons sur comment elle instruit et sanctionne reste posée ».  «  Nous jugerons sur pièces », poursuit le responsable, précisant que le groupe se réserve, si nécessaire, le droit de redéposer un jour sa QPC. En d’autres termes, rien ne dit que la poignée de main de la semaine dernière débouchera sur une paix durable.