Faut-il taxer les robots pour sauver nos retraites ?

Revue de Presse

Source : la-croix.com (25 octobre 2019)

Dans le grand débat sur l’équilibrage des systèmes de retraite, un document de travail du Conseil d’orientation des retraites revient sur une idée qui avait animé la campagne de 2017  : si les robots prennent notre travail, les cotisations prélevées sur les salaires devraient-elles être prélevées sur les machines ?

D’après les chiffres de la Fédération internationale de robotique, la France compte 154 robots pour 10 000 employés, là où l’Allemagne en a 338 et Singapour 831. Iniciocreativo/Adobe

L’idée est presque aussi vieille que l’arrivée des robots dans les usines  : puisque les machines viendraient prendre nos emplois, il faudrait les taxer d’une façon ou d’une autre pour compenser la perte. Défendue, entre autres, par le candidat du Parti socialiste, Benoît Hamon, la «  taxe sur les robots » s’est vite heurtée à une barrière de détracteurs et à la faisabilité.

Dans un document de travail, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a rouvert le dossier à l’occasion de sa réunion sur le financement des retraites. En théorie, pour équilibrer un système de retraites, il n’existe pas dix mille leviers  : baisser les pensions, augmenter les cotisations, ou augmenter la population active, c’est-à-dire à court terme reculer l’âge de départ en retraite ou, à plus long terme, opter pour une politique nataliste forte.

154 robots pour 10 000 employés

Le COR s’interroge sur une autre piste  : «  si les robots deviennent substituables aux humains [dans le cadre du travail], certains redoutent la raréfaction des prélèvements sociaux assis sur le travail. D’où l’idée avancée d’une ‘taxation’ des robots. » L’idée peut paraître loufoque, mais après tout, si les robots prennent nos emplois, pourquoi ne payeraient-ils pas pour nos retraites ?

«  Avant de vouloir faire une taxe sur les robots, il faudrait déjà en avoir ! interpelle Erwann Tison, auteur de Les Robots, mon emploi et moi (1). La France se situe dans la queue de peloton des pays robotisés au sein de l’OCDE. » D’après les chiffres de la Fédération internationale de robotique, la France compte 154 robots pour 10 000 employés, là où l’Allemagne en a 338 et Singapour 831.

«  Il est dérangeant de comparer robots et humains »

L’autre obstacle est celui de la faisabilité  : pour que les robots cotisent pour nos retraites, il faudrait leur prélever des cotisations sociales. Il faudrait donc d’abord leur verser un salaire sur lequel s’appliqueraient ces cotisations. Ce salaire fictif imputé aux robots peut se justifier si l’on considère qu’il revient à un coût d’utilisation du robot comme un coût de main-d’œuvre classique, «  mais il est franchement dérangeant de comparer ainsi un robot à un humain », réagit Erwann Tison

. «  En réalité, il ne s’agit pas de verser un vrai salaire aux robots, détaille Xavier Oberson, professeur de droit fiscal à l’université de Genève et spécialiste du sujet. En Suisse, nous avons une taxe sur la valeur locative, c’est-à-dire qu’un propriétaire est imposé sur les revenus fictifs qu’il tirerait de son logement si celui-ci était loué, partant de l’idée qu’être propriétaire lui permet de ne pas payer un loyer et lui procure donc un gain. Le système de ‘salaire’ pour les robots pourrait fonctionner de la même manière. »

Pour les robots, la casse plutôt que la retraite

Sauf qu’en France, pour attribuer un salaire, même fictif, à un robot, il faut lui donner une personnalité juridique, rappelle le COR. Cela pose, dès lors, des questions éthiques et juridiques qui sont déjà très débattues. Et surtout, il n’est pas «  logique » de leur «  prélever » une cotisation retraite dans ce cas. Actuellement, le système intergénérationnel s’explique car les actifs bénéficieront à leur tour, un jour, d’une pension payée par les suivants. Mais les robots, eux, sont mis à la casse, et ne bénéficient pas de la retraite.

«  Les arguments d’opportunité d’une telle mesure demeurent fragiles, conclut le document de travail du COR qui rejette l’option. À ce jour, aucun pays n’a adopté de taxe robots. » Sans compter que «  les entreprises qui emploient des robots paient des impôts ». Si les gains de productivité permis par les robots développent leur usage, cela se retrouvera dans les recettes fiscales, et il sera toujours temps de basculer une partie de celles-ci vers les caisses de retraites.