POINT DE VUE. Le travail n’est pas que souffrance

Revue de Presse

Source : ouest-france.fr (13 novembre 2019)

Dès qu’il est question du travail, affluent de sombres images de souffrance, de pénibilité et d’exploitation. Les récents films d’Antoine Russbach, Ceux qui travaillent, et de Ken Loach, Sorry we missed you, ne sont pas de nature à les corriger. Non sans de justes raisons que rappelait, il y a peu, entre autres, le procès de France Télécom et de son management de choc avec les conséquences que l’on sait. Globalement, 90 % des actifs estiment que la souffrance au travail a augmenté depuis dix ans.

Mais, paradoxe, presque au même moment, l’immense enquête «  Parlons travail », de la CFDT (200 000 réponses), révélait que 75 % des salariés se déclaraient «  heureux » ou «  très heureux » au travail bien que… très insatisfaits, probablement du fait que les Français prendraient la valeur travail plus au sérieux que les autres et se trouveraient par-là plus exposés à la déception.

Il y aurait donc une potentialité de bonheur dans le travail, confirmant la conviction du romancier Bernard Clavel que «  si l’histoire du travail est souvent une fresque de la misère ; elle est aussi un long roman d’amour et de joie ». Le propos est un peu daté, mais l’idée demeure ou plutôt redevient juste. On est, en effet, dans une période de redécouverte de l’importance du travail comme vecteur de construction de soi, individuellement et collectivement. Les raisons en sont multiples, de la raréfaction des emplois jusqu’à son rôle socialisateur en passant par son statut de langage grâce auquel chacun peut accéder à la reconnaissance d’autrui. Et cette fonction expressive, un temps perdue de vue, vient en puissant contrepoint d’une image exclusivement négative, sous réserve cependant de la réunion de trois conditions.

Adapter le travail à l’homme

D’abord, la reconnaissance de chaque salarié dans sa qualité de personne dotée de capacités qui ne se révèlent que dans une réciprocité sans faux-semblant. Le salarié s’adapte certes à la dynamique de son entreprise mais en retour, cette dernière doit, sur l’injonction du Code du travail, «  adapter le travail à l’homme » dans un effort d’inventivité participative et d’accès au sens de l’œuvre commune.

Emmanuel Macron remarquait justement, en 2017, que «  les entreprises ont peu de chances de prospérer durablement si les salariés qui s’y investissent n’y trouvent pas un sens à leur travail ». Le chantier demeure largement ouvert !

Cela suppose, en second lieu, un management orienté vers la recherche optimale et obstinée du meilleur compromis entre l’économique et le social, l’efficacité productive et l’exigence manifestée par les salariés d’un «  travail bien fait » dont ils n’aient pas honte. Or, c’est là que réside aujourd’hui l’une des premières causes de la souffrance entretenue par la duplicité de ces formes de gestion affectivisée qui font croire à l’importance de chacun pour mieux l’exploiter.

Il faut enfin, contre la compulsion diviseuse d’un certain management si porté à exacerber les rivalités entre les salariés, rappeler le formidable potentiel de la coopération mis en évidence par des économistes comme Elinor Ostrom, prix Nobel 2009, ou Alain Caillé qui y voit l’une des plus belles concrétisations de la dynamique du don et contre-don comme «  condition de possibilité d’un monde plus humain » (Extensions du domaine du don, Actes Sud).

On ne peut qu’approuver Laurent Berger quand il pense que «  la question du travail a été trop longtemps délaissée » au profit du seul… emploi.