5G en France : Huawei sera-t-il de l’aventure ? La mise au point de l’Anssi

Revue de Presse

Source : leparisien.fr (30 janvier 2020)

Guillaume Poupard pilote l’agence de contrôle de tous les équipements télécoms qui fourniront le futur réseau mobile dès cette année. Un sujet très sensible.

Lille, le 29 janvier 2020. Guillaume Poupard, le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), n’exclut pas d’autoriser les équipements de Huawei sur une partie du réseau 5G en France. LP/DLC

Par Damien Licata Caruso

Le 30 janvier 2020 à 15h36

Va-t-on associer Huawei au déploiement de la 5G en France? Malgré les accusations américaines d’espionnage chinois, les autorités européennes recommandent en tout cas de ne pas exclure l’équipementier chinois de la compétition, et nos voisins britanniques viennent d’annoncer qu’il serait bien de la partie Outre-Manche.

De quoi parle-t-on ? Dans leur course pour déployer cette nouvelle génération d’Internet mobile, les opérateurs (en France, Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free) vont devoir faire appel à des cœurs de réseaux relayés par des antennes fournies par les équipementiers télécoms, comme le géant chinois.

Mais ces équipements sensibles doivent auparavant être validés par les experts techniques de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi). Interrogé par Le Parisien lors du Forum International de la Cybersécurité à Lille, le patron de ce gendarme informatique, Guillaume Poupard, a bien voulu s’exprimer sur ce sujet brûlant. Et rétablir plusieurs vérités.

Les autorités britanniques ont donné leur feu vert à une participation limitée de Huawei au réseau 5G, malgré les risques supposés d’espionnage et alors que la France n’a pas encore tranché. Quelle a été votre réaction ?

GUILLAUME POUPARD. Ils sont sur la même analyse du risque que nous… car nous la faisons ensemble. Dans leur décision, les équipementiers à risque sont exclus du cœur du réseau 5G et ils n’auront que 35 % du déploiement des antennes. C’est tout sauf un blanc-seing pour faire n’importe quoi. Mais cette décision à Londres est courageuse, je la salue. Avec les équipementiers, on fait face à deux types de risques : les risques techniques, objectivables pour nous, mais aussi les risques, beaucoup moins quantifiables, de nature politique : tous les industriels chinois sont soumis à une loi de 2017 qui les oblige à contribuer au renseignement national. Je ne peux pas en vouloir à Huawei s’ils suivent la loi de leur pays comme les industriels américains doivent suivre le Cloud Act qui ouvre l’accès aux informations stockées sur leurs serveurs.

L’Ofcom, l’autorité régulatrice des télécommunications au Royaume-Uni, s’est tout de même inquiétée du niveau de cybersécurité des équipements de Huawei…

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Nous faisons des audits sur tous les équipementiers télécoms : dire que les Chinois sont nuls serait un raccourci. Ils font des efforts, comme les équipementiers européens. Ils ont compris que c’est une question de survie pour eux. Il faut garder à l’esprit que ce sont des appareils d’une complexité hallucinante avec un nombre gigantesque de lignes de code informatique. Le risque de piratage ou d’espionnage n’est plus dans le matériel comme les antennes mais bien dans la partie logicielle que nous inspectons.

Ce n’est donc pas si grave qu’il y ait des composants made in China dans les équipements européens qui vont fournir le réseau 5G ?

Non, et je souhaite bien du courage à ceux qui ambitionnent de faire des réseaux télécoms sans aucun composant chinois. C’est prendre le problème à l’envers. Il faut bien sûr des réseaux sécurisés et qu’Orange, Bouygues, SFR et Free soient les architectes et les opérateurs de leurs réseaux. Mais on peut faire des choix subtils : il y a des lieux en France plus sensibles que d’autres, comme Paris ou près de l’île Longue à Brest, qui abrite nos sous-marins nucléaires, où l’on doit être très vigilant. Et il y a des zones beaucoup moins tendues. Il faut trouver un équilibre en dépassant certaines hypocrisies, mais ce n’est plus à nous de relancer le débat organisé par les Américains sur un « Huawei ou non » pour déployer la 5G en Europe. Huawei est une victime injuste de la défiance américaine. C’est une superbe boîte technologique qui a été impliquée dans la définition des standards de la 5G. Mais il faut se baser dans nos décisions sur une analyse lucide des risques.

Ne peut-on pas se passer de Huawei pour avoir le réseau 5G en France en 2020 ?

Non. Même réponse pour 2025 où les opérateurs devront couvrir toutes les grandes villes et les axes de transport. Ce n’est pas une question de prix mais d’efficacité et de sécurité. Il nous faut plusieurs équipementiers. Si les concurrents Ericsson ou Nokia remportaient le marché, nous aurions un problème de diversité. Ensuite, tous les éléments d’un réseau n’ont pas la même valeur stratégique. Il n’y aura encore une fois pas de Huawei au cœur sensible du réseau mais il pourrait y avoir du Nokia, du Ericsson voire du Cisco. Cet acteur américain passe sous le radar dans le débat actuel et nous avons une relation de confiance avec eux.

Les opérateurs ont jusqu’au 25 février pour déposer un dossier 5G et un gros chèque auprès de l’Arcep, le régulateur des télécoms. Mais ils se montrent frileux car ils ont peur de ne pas pouvoir utiliser des équipements Huawei réputés moins chers…

Il faut rassurer les opérateurs. Les premiers dossiers ont été déposés début décembre, nous avons deux mois pour répondre, donc nous donnerons notre avis début février. Il n’y a aucune manœuvre dilatoire de la part de l’Etat. Les opérateurs sauront en privé quels équipements sont autorisés et ils en tireront leurs conséquences. Mais je comprends qu’ils soient stressés, c’est un gros changement pour eux, certains ont peur de partir au tapis s’ils n’ont pas de réseau 5G.

Quels sont les critères retenus pour valider ou non les équipements 5G ?

Nous avons des critères techniques et des évaluations ponctuelles dans nos laboratoires. C’est hors de portée d’avoir une évaluation complète donc nous utilisons les capacités des opérateurs à mettre en œuvre les infrastructures télécoms chez eux sur des points précis. Nos équipes vont aussi chez les équipementiers mais nous ne sommes pas allés en Chine car ils ont tous des sites de tests en France.