Pierre Louette : « Pour Orange, il est temps d’adapter la régulation des télécoms au marché

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Source : LES ECHOS (5 novembre 2014)

Alors qu’un nouveau géant des télécoms en train de naître, avec le rapprochement de SFR et Numericable, l’opérateur historique considère que la réglementation doit évoluer en conséquence. Orange rappelle par ailleurs son attachement à la fibre, «  la technologie d’avenir dans le très haut débit ».

La désignation du nouveau président de l’Arcep, le gendarme des télécoms, approche. Avez-vous un ¬candidat de prédilection ?

Il n’appartient pas aux opérateurs de dire qui doit devenir le prochain président de l’Arcep. Mais il ne faut pas perdre trop de temps à trouver la bonne personne pour assurer cette mission. Cette nomination ne doit notamment pas être l’occasion d’organiser un concours de beauté entre le Conseil d’Etat et les ingénieurs télécoms. Le plus important, c’est de bien définir la nouvelle mission du régulateur dans l’environnement actuel. On est très attachés à ce que celui-ci reste un arbitre équitable, qui aille dans le sens du jeu, mais ne descende pas forcément sur le terrain. Le régulateur a besoin d’avoir une vision vraiment synthétique du marché.

Un rapprochement ntre l’Arcep et le CSA semble à nouveau à l’ordre du jour. Qu’en pensez-vous ?

C’est à l’Etat de prendre ses responsabilités sur un tel sujet. Par principe, nous ne sommes opposés à rien. Nous avons de bonnes relations avec les deux institutions. Nous sommes un contributeur important du monde de la culture avec 400 à 500 millions d’euros de financement par an. L’essentiel est de pouvoir conserver un dialogue de qualité avec des intervenants techniquement compétents. Il faut quand même trouver en face de soi quelqu’un qui veuille bien mettre les mains dans le cambouis, et qui s’intéresse vraiment à la technologie. C’est essentiel dans les télécoms

La nouvelle présidence de l’Arcep pourrait être l’occasion de repenser la régulation du secteur…

Oui et elle ne se pose pas dans les mêmes termes qu’il y a cinq ou dix ans. On a eu la régulation 1.0 pendant laquelle on a posé des contraintes à France Télécom, l’opérateur historique, pour faire émerger la concurrence. Ensuite, il y a eu la régulation 2.0 en temps de crise et de guerre du mobile. Il faut désormais passer à la régulation 3.0, qui pourrait être une réglementation du secteur secteur et, pourquoi pas, embrassant l’écosystème numérique dans la logique de traitement équitable que nous appelons de nos vœux. On passerait de l’asymétrie, où l’on avait un opérateur dominant, France Télécom, très régulé, à la symétrie, où tous les opérateurs seront logés à la même enseigne. C’est-à-dire qu’il faut de moins en moins de régulation, ou en tout cas d’une autre nature, car le marché a profondément changé. Orange n’a plus besoin d’avoir la même régulation que celle imposée à France Télécom.

La fusion Numericable-SFR change notamment la donne avec un super-numéro deux des télécoms français…

Oui, nous avons désormais des positions voisines avec Numericable-SFR. Dans le mobile par exemple, Orange a 35 % de part de marché et Numericable-SFR 28,5 %. Dans le fixe, nous avons 38 % et ils font 27 %. Numericable-SFR devient un acteur très concurrentiel et compétitif des marchés du haut débit et du très haut débit. Nous réclamons la symétrie, car nous allons donc être en lutte avec des concurrents presque aussi gros que nous. Enfin, plus globalement, il faut veiller à ne pas alourdir encore plus la surfiscalité des opérateurs télécoms. On ne souhaite pas de taxe demain sur les tablettes, par exemple.

Numericable s’est engagé à ouvrir son réseau câblé à la concurrence. Orange est-il intéressé ?

Nous n’avons aucun tabou en termes de technologie. Il est possible qu’on soit intéressés par le câble dans certaines régions. Nous n’avons pas encore pris de décision à ce sujet. Mais notre stratégie dans le fixe demeure clairement basée sur le déploiement de la fibre. C’est la technologie d’avenir dans le très haut débit. Il faudra d’ailleurs veiller à ce que les prix proposés par Numericable ne soient pas trop bas. Cela inciterait les autres acteurs à lever le pied pour l’investissement dans la fibre. Et ce serait dangereux pour le pays dans la perspective du Plan France Très Haut Débit.

La mutualisation des réseaux mobiles de SFR et Bouygues Telecom est enfin sur les rails. Vous continuez de la contester ?

Nous regrettons que l’Autorité de la concurrence n’ait pas statué dans l’urgence après le dépôt de notre plainte. Mais l’affaire reste instruite sur le fond. Ce qui est surprenant, c’est que l’Autorité a toujours défendu le principe de la concurrence par les infrastructures. Or, une telle mutualisation va à l’encontre de cela. Grâce à l’itinérance 4G offerte par Bouygues Telecom, SFR va gagner d’un seul coup 20 points de couverture de la population. C’est l’équivalent d’un an d’investissement pour Orange. On ne comprend pas comment l’Autorité peut demander l’an dernier à Free de commencer l’extinction par plaques de l’itinérance 2G et 3G qu’ils ont avec nous ; et en même temps autoriser une telle itinérance 4G au bénéfice de SFR.