« Pour certains suicides, le travail est bel et bien en cause »

Revue de Presse

Source : marieclaire.fr (11 juin 2020 )

Dans son nouveau rapport, l’Observatoire national du suicide fait le bilan sur les liens connus entre travail, chômage et suicide. Même si un passage à l’acte reste multifactoriel, de mauvaises conditions de travail ou l’effet fragilisant du chômage peuvent en être l’une des causes.

Depuis quelques années, le nombre de suicides est en baisse en France, mais ils restent une réalité : l’Hexagone se trouve à la neuvième place du classement des pays Européens où l’on se suicide le plus. Ainsi, dans son dernier rapport* publié mercredi 10 juin, l’Observatoire national du suicide s’intéresse aux liens entre travail, chômage et suicide.

Malgré les nombreuses affaires de passages à l’acte au travail et une volonté accrue d’adresser les problèmes de santé mentale dans la société française, l’ONS rappelle qu’’il n’existe pas de données fiables sur les suicides liés au travail, ce qui rend difficile toute quantification des suicides en lien avec le travail ou survenus sur un lieu de travail’. Il en est de même pour les suicides liés au chômage. 

Le suicide au travail  : un phénomène nouveau

En 2016, la France a été témoin d’environ 9300 morts par suicide. La moitié des personnes décédées avaient entre 35 et 64 ans, elles étaient donc en âge de travailler. En 2016, ce sont aussi 5,3 % des personnes en activité qui ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.

Régulièrement ce lien qui semble exister entre travail et suicide nous est rappelé. Tout le monde se souvient de la glaçante vague de suicides qui avait secoué France Télécom en 2008. Puis ce fut au tour de Renault, EDF ou La Poste d’être concerné par ces actualités sordides. Mais au-delà des grands groupes auxquels sont souvent réduits les victimes, ce sont des professeurs, des agriculteurs et des ouvriers dont le suicide est rapidement balayé par d’autres actualités.

Stress intense, burn out, licenciement, harcèlement… La santé mentale des salariés est aujourd’hui mise à rude épreuve. Le rapport rappelle pourtant que le suicide au travail est un phénomène relativement nouveau et qu’il a réellement émergé au cours des trente dernières années.   

Un lien difficile à établir

Bien que pour l’expert de l’ONS, Christian Baudelot, l’émergence de ces nouvelles formes de suicide coïncide avec l’apparition, dans les années 1990, de nouvelles formes de management exigeant ‘plus d’autonomie, plus de flexibilité [et] un engagement personnel de plus en plus intense de la part des travailleurs’, il n’existe toujours pas de lien officiellement établi entre le travail et le suicide.

En effet, les causes d’un suicide sont toujours considérées comme multifactorielles, ce qui nous oblige encore à nuancer le lien entre un passage à l’acte et des conditions de travail douteuses. ‘Le travail ne saurait être la cause unique et principale d’un suicide, mais pour certains suicides, le travail est bel et bien en cause’, continue Christian Baudelot.

Les conséquences meurtrières du chômage

Même s’ils sont souvent relayés au second plan de la société, les demandeurs d’emploi sont aussi à risque. Le chômage tue, comme le rappelle Michel Debout, médecin légiste et membre de l’ONS  : ‘Le chômeur n’est pas fragile. Il est fragilisé. Lors d’une enquête en 2016, nous avions demandé à des salariés et des chômeurs s’ils avaient déjà pensé sérieusement à se suicider  : 19 % des salariés avaient répondu positivement [contre] 30 % des demandeurs d’emploi.’

Pourtant, même si selon Michel Debout ‘le lien entre chômage et suicide est connu depuis longtemps’, tout comme ceux liés au travail, les suicides dus au chômage sont difficiles à identifier et à dénombrer.

Aujourd’hui, l’urgence est de mieux appréhender la santé mentale des demandeurs d’emploi, car même si le tabou se lève progressivement sur le mal-être mental au travail, celui des chômeurs ne semble pas susciter beaucoup d’intérêt de la part des pouvoirs publics.

L’urgence de réagir dans une société fragilisée par la COVID-19

Sans compter que la crise économique actuelle pourrait bien être une nouvelle cause d’un passage à l’acte.

Ses conséquences sont même déjà visibles. La semaine dernière, près de Caen, un éboueur s’est suicidé suite à l’annonce de son licenciement. Il avait assuré son service durant tout le confinement.

Même si le rapport de l’ONS ne prend pas en compte les effets du confinement et de la crise sanitaire, les auteurs du rapport proposent cinq actions innovantes, qui pourraient fournir de nouvelles pistes de réflexion :

  • Généraliser à l’ensemble du territoire français le dispositif VigilanS de recontact des personnes ayant fait une tentative de suicide, dans les suites de leur sortie des urgences ou d’une hospitalisation
  • Actualiser la formation à l’intervention sur la crise suicidaire et former les médecins généralistes à la prise en charge de la dépression
  • Prévenir la contagion suicidaire en formant les médias, en intervenant dans les réseaux sociaux et en réduisant l’accès aux moyens létaux
  • Mettre en place un numéro national de recours pour les personnes en détresse psychique extrême
  • Informer le public sur ces ressources
    Des initiatives qui pourraient aider à diminuer le nombre de suicides liés au travail ou au chômage, même si, au-delà du lien clair qu’il reste à établir entre ces concepts, il existe une autre complication : celle de prouver légalement le lien entre mal être au travail et passage à l’acte .