Faut-il un nouveau tour de vis sur les retraites?

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Source : lexpansion.lexpress.fr (03 octobre 2015)

Niveau de vie des retraités, formation des seniors, et financement des retraites… Trois think tanks se penchent sur l’avenir des retraites.

Les actifs et les retraités doivent garder un même niveau de vie » « 
Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE

A la mi-2015, la France reste en situation de dépression économique, avec un taux de chômage de 10,5%. Le déficit d’emploi, de l’ordre de 4,5%, coûte 0,6 point de PIB au système de retraite, dont le déficit financier actuel (0,4 point du PIB) est conjoncturel. Il serait contre-productif, compte tenu de la situation macroéconomique, d’augmenter les cotisations sociales ou de réduire les prestations. Cela pose cependant problème pour l’Agirc et l’Arrco, qui ne peuvent supporter des déficits prolongés. Aussi l’Etat devrait-il donner à ces deux organismes assurant les retraites complémentaires les moyens de financer leurs déficits conjoncturels.

La stratégie de report de l’âge effectif de départ à la retraite est déjà largement engagée. Malgré la crise, le taux d’emploi des seniors (les 55-65 ans) est passé de 37,8% début 2008 à 48,3% début 2015, cela s’accompagnant toutefois d’une hausse du taux de seniors au chômage (de 1,5% à 3,5%) et surtout d’une forte baisse du taux d’emploi des jeunes, les entreprises contraintes de conserver les seniors réduisant leurs embauches.

Rien ne justifie la baisse des revenus des plus âgés « 
En raison de la situation actuelle de l’emploi, il n’est pas possible d’accélérer le mouvement, en avançant le calendrier d’allongement de la durée requise de cotisations ou en reculant l’âge ouvrant le droit à la retraite. On ne peut pénaliser ceux qui partent aujourd’hui entre 62 et 65 ans, qui n’ont souvent guère le choix. Compte tenu des revenus du patrimoine, de la propriété de leur logement, mais aussi du coût des assurances complémentaires santé, les retraités ont globalement le même niveau de vie que l’ensemble de la population, ce qui est légitime.

Dans ses scénarios médians, le Conseil d’orientation des retraites prévoit un quasi-équilibre du système, grâce à l’indexation des retraites sur les prix et non sur les salaires. Ainsi, le niveau des retraites par rapport aux salaires baisserait d’environ 16% d’ici à 2040, avec un risque accru de paupérisation des veuves les plus âgées. On ne peut aller plus loin sans remettre en cause la logique même du système, qui est de permettre à la masse des salariés d’avoir un niveau de vie satisfaisant à la retraite, sans recours aux marchés financiers.

Il n’y a donc aucune raison d’imposer aux retraités des baisses de revenus supérieures à celles des salariés. Comme il n’y a aucune raison, dans une zone euro qui souffre d’un déficit de demande, d’exiger des salariés de chaque pays qu’ils acceptent des baisses de salaires afin d’être plus compétitifs que les salariés du pays voisin. C’est une stratégie perdante qui contribue à maintenir la zone en dépression.

La priorité serait plutôt de former les plus de 50 ans » « 
Martin Bussy, économiste pour L’Avenir n’attend pas
Malgré de nombreuses réformes, le système de retraite français demeure déficitaire de 10 milliards d’euros. Selon les chiffres du Conseil d’orientation des retraites publiés en juin 2015, son solde financier resterait négatif au moins jusqu’au milieu des années 2020. Les trois leviers d’action principaux pour réduire ce déficit sont la durée de cotisation (ou l’âge de départ à la retraite), le montant des cotisations et le montant des pensions versées.

Il serait injuste de baisser les pensions, alors que le pouvoir d’achat des Français est à la peine. Il paraît également difficile d’augmenter les cotisations, déjà élevées, alors même que se multiplient les dispositifs de baisse de cotisations pour favoriser l’emploi.

Il serait donc tentant de relever la durée de cotisation, déjà augmentée lors des précédentes réformes. Mais voulons-nous vraiment troquer des retraités contre des chômeurs?

Garantir la pérennité du système par le soutien de l’activité « 
Bien que le taux d’emploi des seniors ait progressé ces dernières années, l’insertion professionnelle des 55-64 ans reste difficile en France comparée aux autres pays développés (45% contre 55% en moyenne selon l’OCDE en 2012). Les plus de 50 ans sont nombreux à être confrontés au chômage car leurs salaires sont souvent plus élevés que ceux des plus jeunes, alors que leurs compétences ne correspondent pas toujours aux exigences du moment.

Par ailleurs, la pérennité de notre système de retraite dépend de l’activité économique de notre pays, notamment de la croissance des revenus d’activité (ou de la productivité du travail). Or les dynamiques d’emploi ont fortement souffert et l’amélioration économique peine à se traduire sur le front du chômage, notamment chez les jeunes.

Il est donc essentiel pour l’amélioration durable du solde financier de notre système de retraite de mettre en oeuvre des mesures de soutien à l’activité économique, devant permettre une hausse des revenus d’activité.

Parallèlement, la pérennisation de la réforme des retraites passe, entre autres, par la lutte contre le chômage des seniors. La formation des plus de 50 ans doit être une priorité de la réforme de la formation professionnelle en cours afin de faire progresser leur taux d’activité.

« La solution, c’est de travailler et de cotiser davantage »
Alexia de Monterno, directrice adjointe de l’institut Montaigne
Près de vingt-cinq ans après le livre blanc commandé par Michel Rocard, les Français ont pris l’habitude de voir resurgir le sujet des retraites dans le débat public. Six réformes ont été menées depuis 1993, mais elles sont loin d’avoir été à la hauteur des enjeux. Pis, certaines d’entre elles ont aggravé le problème
(c’est le cas du dispositif « carrières longues », créé en 2003 et étendu en 2012).
Quelle est la situation actuelle? A l’horizon 2040, la dette cumulée des régimes de retraites par répartition pourrait représenter jusqu’à 25 points de dette publique selon le scénario – optimiste – retenu par le Conseil d’orientation des retraites, soit un accroissement de plus d’un quart du total de la dette publique française actuelle à cet horizon. Non seulement la question du financement des retraites n’est toujours pas réglée, mais elle continue de constituer l’un des enjeux les plus lourds pour nos finances publiques.

Une hausse des prélèvements serait contre-productive
Une nouvelle réforme est nécessaire et doit devenir l’un des sujets clés de la présidentielle de 2017. Il conviendrait d’éviter une nouvelle hausse des prélèvements tant la question du financement des retraites ne doit plus se régler au détriment de la compétitivité et de l’emploi. Il faudrait également éviter d’augmenter les ressources publiques destinées à ces régimes, la France y consacrant déjà 14% de son PIB.

La prochaine réforme des retraites doit reposer sur deux principes simples et indissociables. En premier lieu, la convergence des régimes publics et privés serait une source importante d’économies. Cette mesure d’équité serait aussi la condition sine qua non de l’acceptabilité des efforts demandés à tous. En effet – et c’est le deuxième pilier de la réforme -, il faudra poursuivre l’augmentation simultanée et parallèle de l’âge de la retraite et de la durée de cotisation.

L’ajustement porterait l’âge de la retraite à 64 ans au moins et la durée de cotisation à quarante-trois ans en 2023. Une fois cet équilibre atteint, il pourra être maintenu par une évolution plus progressive tenant compte des gains d’espérance de vie.

Les entreprises doivent aussi jouer le jeu. Pendant plus de trente ans, les seniors ont servi de variable d’ajustement. Il est temps que cela change. Même après une telle évolution, la France conserverait des paramètres de liquidation plus favorables que ceux des pays comparables.

Leurs orientations de pensée
L’OFCE est un think tank plutôt classé à gauche. Il a publié récemment « La fiscalité des ménages et des entreprises : quel débat pour quel choix politique ».

L’Avenir n’attend pas, le dernier-né des think tanks proche du Parti socialiste, est dirigé par Juliette Meadel, porte-parole du PS. Il a récemment travaillé sur la sécurisation des parcours professionnels.

L’institut Montaigne est un think tank indépendant d’orientation libérale.