Travail dominical : ce long débat que l’on aurait pu éviter

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Source : lesechos.fr (30 mars 2016)

Le gouvernement et les parlementaires auraient pu s’épargner bien des heures de discussions enflammées sur le travail dominical, s’ils avaient réglé d’emblée l’unique réel problème : celui de l’ouverture du Printemps et des Galeries Lafayette, à Paris.

Avec des « si » on mettrait Paris en bouteille, dit l’expression populaire. Avec un si, en tout cas, on aurait évité des dizaines d’heures de discussions parlementaires, des dizaines de réunions entre le patronat et les syndicats de la branche des grands magasins, voire même la tentation qu’a aujourd’hui le gouvernement de contourner l’inertie des grandes centrales par le référendum auprès des salariés.

Si quoi ? Si Anne Hidalgo, ou son prédécesseur Bertrand Delanoë, avait accepté de classer en zone touristique « simple » la portion du boulevard Haussmann, qui longe, à Paris, le Printemps et les Galeries Lafayette ! A peine 500 mètres de trottoir qui se seraient ajoutés aux Champs-Elysées et à la rue des Francs-Bourgeois. Un classement qui aurait évité à Emmanuel Macron de créer un dispositif spécial – celui des zones touristiques dites internationales définies par le seul gouvernement – pour remédier à une situation cocasse : la fermeture le dimanche des magasins recevant le plus de touristes étrangers. Selon Global Blue, le spécialiste mondial de la détaxe, le Printemps et les Galeries Lafayette du boulevard Haussmann récoltent en effet 56,5 % des ventes détaxées de la capitale. Contre 8 % pour les sept zones touristiques « classiques » parisiennes délimitées au début des années 1990.

Rappelons qu’il existe en France plus de 600 de ces zones touristiques « normales », c’est-à-dire non internationales, à l’intérieur desquelles les magasins ont le droit d’ouvrir le dimanche. Il s’en crée tous les mois, au bon vouloir des maires qui, pour ce faire, n’ont même pas besoin de justifier l’attractivité tourisque des quartiers concernés par des critères objectifs… Le simple classement du boulevard Haussmann en zone touristique simple aurait suffi à éteindre tous les débats sur le travail dominical.

D’abord, parce que parmi les grands magasins parisiens, seuls le Printemps et les Galeries Lafayette d’Haussmann souhaitent vraiment ouvrir 52 dimanches par an. Situé un peu en retrait des flux touristiques du boulevard Saint-Germain, le Bon Marché (propriété de LVMH, comme « Les Echos ») n’a pas véritablement d’intérêt économique à pratiquer l’ouverture dominicale systématique. En tout cas, les dirigeants de l’institution créée en 1852 par Aristide Boucicaut n’ont jamais exprimé publiquement ce souhait. Conscients que le chiffre d’affaires supplémentaire réalisé le septième jour ne compenserait pas forcément les coûts d’ouverture, ils ont ainsi mis du temps à s’aligner sur le principe du « payé double » avancé par les Galeries Lafayette lors de la négociation de branche.

De leur côté, les responsables d’Apsys et d’Unibail, propriétaires respectifs des centres commerciaux parisiens de Beaugrenelle et du Forum des Halles, se réjouissent que leurs unités aient été classées en zone touristique internationale par Emmanuel Macron. Toutefois, malgré un lobbying discret mais réel, il s’agit plus pour ces foncières d’une opportunité que de l’aboutissement d’une revendication stratégique. D’autant que la question des compensations sociales ne se pose pas à elles, mais à leurs locataires…

Au final, le débat sur l’ouverture dominicale se concentre bien aujourd’hui sur les deux seuls grands magasins Printemps et Galeries Lafayette du boulevard Haussmann à Paris. Deux magasins qui sont assurés de bénéficier de ventes additionnelles le dimanche, de tirer un bénéfice du fait d’ouvrir un jour de plus, d’accorder des compensations à leurs salariés et de créer des centaines d’emplois.

Il faut avoir un peu de mémoire. Qui a relancé la question du dimanche il y a trois ans ? Le truculent Jean-Claude Bourrelier, PDG de Bricorama. Mais pour lui, comme pour toutes les grandes surfaces de bricolage implantées en Ile-de-France, le problème est réglé. Les Bricorama et autres Leroy Merlin n’ont pas obtenu une dérogation sectorielle de plein droit, comme les enseignes d’ameublement en leur temps. Mais, souvenons-nous, le 30 décembre 2013, le gouvernement a discrètement publié un décret ajoutant les commerces de ce secteur à la liste des établissements pouvant, à titre provisoire, ouvrir le dimanche. Une disposition validée in fine en février 2015 par le Conseil d’Etat. Comme il se doit, en matière de bricolage, le provisoire dure. Sans que quiconque trouve à y redire. La loi Macron n’a pas créé des zones touristiques internationales qu’à Paris. En plus des centres commerciaux Cap 3000, Polygone Rivera et Val d’Europe qui ont, eux aussi, bénéficié d’un effet d’aubaine, Deauville, Cannes et Nice ont été classées en ZTI. Mais ces trois villes étaient déjà des zones touristiques classiques. Rien n’a donc changé pour elles, ce qui prouve bien, si l’on écarte les faux semblants, que la loi Macron n’a voulu régler que l’unique problème du boulevard Haussmann. Tout ça pour ça, alors que la simple bonne volonté du maire de Paris aurait suffi a étouffer les braises de ce lancinant débat politico-social…

Le drame, c’est qu’en voulant assurer une majorité à son texte qui créait les ZTI, le ministre de l’Economie a étendu l’obligation des compensations sociales aux 600 zones touristiques normales existantes. Ainsi, sous la pression des syndicats qui se sont emparés de ce nouveau pouvoir alors qu’aucune plainte de salariés ne s’était fait entendre, des magasins qui ouvraient le dimanche depuis des lustres sont désormais en passe le baisser le rideau le septième jour.