Peut-on moduler le temps de travail en fonction de l’âge?

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Source : liberation.fr (10 novembre 2016)

C’est une proposition d’Emmanuel Macron. De quoi faire tousser les électeurs de gauche, mais aussi les juristes.

Ne lui parlez pas des 35 heures de travail hebdomadaires. Emmanuel Macron, l’ancien ministre de l’Economie, trouve le débat « surréaliste». Dans une interview à l’Obs, parue jeudi et dans laquelle il développe une partie de son programme, celui qui devrait prochainement se déclarer candidat à la présidence de la République, a toutefois remis le sujet sur la table. Il y explique qu’il ne « croi[t] pas du tout aux propositions de la droite de retour généralisé aux 39 heures payées 35», et qu’il faut au contraire, à son sens, « conserver une durée légale, un socle». De quoi rassurer l’électorat de gauche? Pas si sûr. Car pour Macron, il faut aussi « laisser ensuite aux branches le soin de la moduler s’il y a des accords majoritaires». Et sur ce point, l’homme politique a une idée des plus iconoclastes : « s’adapter aux individus», en fonction de leur âge.

« Quand on est jeune, 35 heures, ce n’est pas long»

« On peut ainsi imaginer, explique-t-il, que les branches professionnelles négocient une possibilité pour les salariés qui le souhaiteraient de travailler moins à partir de 50 ou 55 ans : 30 heures, 32 heures, pourquoi pas? En revanche, quand on est jeune, 35 heures, ce n’est pas long. Il faut donc plus de souplesse, plus de flexibilité.» Sans surprise, la proposition a vite été critiquée sur Twitter, par des internautes, dont la militante Caroline De Haas, rappelant que l’on pouvait être « jeune» et abonné à des métiers pénibles.

Rien n’est dit, en revanche, sur le salaire

La proposition pose aussi plusieurs questions, notamment juridiques. D’autant qu’elle reste pour l’heure assez floue. Si l’idée portée par Macron semble bien de moduler le temps de travail selon l’âge, en proposant une durée de travail plus élevée pour les plus jeunes et moins importante pour les plus âgés, rien n’est dit, en revanche, sur le salaire. Les jeunes seraient-ils payés plus pour travailler plus? Les salariés de plus de 50 ou 55 ans garderaient-ils leur rémunération ou cette dernière serait-elle rabotée de quelques euros lorsqu’ils passeraient à 30 ou 32 heures? L’ex-ministre ne le précise pas.

Et c’est bien le problème. Car comme le rappelle Sylviane Laulom, professeur de droit social à l’université Lyon 2, « une mesure ciblée par rapport à l’âge n’est pas autorisée par le Code du travail». Même si, poursuit-elle, « des exceptions peuvent être admises». Ainsi, selon le droit du travail, des « différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d’assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d’emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés». Si le texte ne le précise pas vraiment, une différenciation du temps de travail en fonction de l’âge pourrait donc peut-être s’inscrire dans ce cadre dérogatoire, mais à condition que la justification soit suffisante.

« Les 35 heures n’ont jamais été un maximum»

Reste que, pour la juriste, il y a matière à s’interroger sur la pertinence d’une telle proposition puisque « les entreprises ont déjà la possibilité de moduler le temps de travail», notamment par le biais d’accord sur la modulation du temps de travail, ou, à défaut, grâce aux heures supplémentaires. Et de rappeler que « les 35 heures n’ont jamais été un maximum, mais juste un seuil qui permet de déclencher le paiement des heures supplémentaires». Une réalité que certains politiques, Macron en tête, en laissant entendre que les jeunes sont « bloqués» à 35 heures par manque de « flexibilité», contribuent à masquer.

Autre limite de cette proposition : elle pourrait être source d’une seconde inégalité entre hommes et femmes. « Il y a une sorte de préjugé selon laquelle quand on est jeune, on peut travailler plus. Or, c’est aussi à ce moment-là qu’on fait des enfants. Il n’y a donc aucune prise en compte de l’enjeu de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle», conclut Sylviane Laulom.