La loi El Khomri bouleverse la médecine du travail

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Source : lemonde.fr (9 janvier 2017)

La visite médicale d’embauche est remplacée par une simple entrevue.

C’était un rituel pour tout nouvel embauché dans une entreprise. Une fois son contrat signé, il devait effectuer une visite médicale auprès d’un médecin du travail qui devait déterminer s’il était bien apte à réaliser la tâche quotidienne pour laquelle il avait été choisi, certificat d’aptitude à l’appui. Depuis le 1er janvier 2017, c’en est fini de cette obligation. Contenue dans la loi travail adoptée le 8 août 2016, cette disposition (article 102) a reçu moins de lumière que d’autres, elle va pourtant bouleverser tout un champ de la vie au travail.

Désormais, le nouvel employé aura droit à une visite « d’information et de prévention » dans les trois mois de son arrivée dans l’entreprise. Il pourra être vu par un médecin comme auparavant, mais pas seulement : un infirmier pourra désormais, lui aussi, effectuer la visite qui donnera lieu à une attestation. Cette entrevue pourra ensuite être renouvelée autant de fois que le professionnel de santé le souhaite, dans un délai de cinq ans maximum.

Seuls les salariés amenés à travailler sur un poste considéré comme risqué (travailleurs de nuit, par exemple) seront vus à un rythme plus soutenu, dans un délai maximum de deux ans. Ceux-là auront d’ailleurs droit à un examen médical plus poussé, dit, cette fois, « d’aptitude ».

La liste des métiers et des postes considérés comme étant à risque est déterminée par le ministère du travail, mais l’employeur peut, s’il le souhaite, l’amender en fonction de la situation spécifique de son entreprise. Ceux qui présentent un risque de santé individuel devront, eux aussi, repasser par la case médecin ou infirmier dans un délai de deux ans maximum.

Manque cruel de spécialistes

L’idée de cette réforme, selon la Rue de Grenelle, est de permettre aux services de santé « d’adapter le suivi et de se concentrer sur ceux qui en ont le plus besoin ». « Le système ancien permettait tellement de dérogations qu’une personne pouvait ne pas être vue par un médecin pendant dix ans sans que personne ne s’en inquiète. Cette visite permet de détecter plein de choses et ensuite de déclencher un suivi plus poussé s’il le faut », explique-t-on dans l’entourage de la ministre.

Si le ministère met en avant la volonté « d’individualiser » le suivi des salariés, il ne cache pas non plus le principe de réalité qui l’a poussé à introduire cette disposition dans la loi travail : un manque cruel de médecins spécialistes du sujet. De 6 435 en 2010, leur nombre est passé à 5 048 en 2014. Avec, de surcroît, une démographie dont la moyenne d’âge est de 56 ans. « Quand plus de 96 % des postes des autres spécialités sont pourvus à l’internat, ceux de médecine du travail ne le sont qu’à 66 % », déplore-t-on dans l’entourage de Mme El Khomri.

« Il y a 22 millions de déclarations d’embauche pour 15 millions de salariés, ce qui signifie énormément de visites pour des CDD de moins d’un mois qui se renouvellent, nous n’y arrivions plus, nous n’avions plus les ressources médicales pour assurer le suivi », explique Martial Brun, directeur général du Cisme, une association regroupant des centres de santé et de médecine au travail, favorable à la réforme.

Une position que ne partage pas Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail : « Finalement, on ne fait que sécuriser juridiquement les employeurs dont les salariés ne voyaient jamais le médecin du travail », déplore-t-il. Selon lui, le danger de la réforme tient au fait qu’elle sépare « postes normaux de postes à risques ».

Et de conclure : « Cela repose sur un principe de risque qui est faussé, beaucoup de salariés souffrent de risques psychosociaux sans pour autant que leur métier ne soit identifié comme pouvant les provoquer, il peut y avoir une énorme souffrance au travail mais insidieuse, invisible. Il faut donc que tous aient accès à un médecin. »