Pourquoi le bien-être au travail passe par la prise en compte du couple

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Source : lentreprise.lexpress.fr (9 Novembre 2015)

L’égalité professionnelle doit être au coeur des réflexions sur le bien-être au travail, mais il convient de lui ajouter un autre acteur, le couple. L’analyse d’Antoine de Gabrielli, fondateur de Companieros, spécialisé dans la formation aux questions de diversité et management.

Une étude publiée par HEC au féminin en 2014 montrait que, pour la première fois, les filles de la promo 2008 étaient aussi nombreuses que les garçons à vouloir faire passer leur vie professionnelle avant tout. Mais surprise, que les garçons étaient aussi pour la première fois plus nombreux qu’elles à ne pas vouloir sacrifier leur vie familiale à leur vie professionnelle!

Ces chiffres annoncent de vrais changements sur le front de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. Ils révèlent en effet que deux leviers importants sont en train de s’activer : l’envie de réussir des jeunes femmes et l’envie d’équilibre des jeunes hommes. Alors que la bi-activité devient la norme, les couples de jeunes cadres vont devoir inventer la bi-disponibilité, dans la vie professionnelle comme dans la vie privée. Mais, à côté des questions relatives à l’égalité professionnelle, cette nouvelle donne impose de faire émerger un troisième acteur dans la réflexion pour les entreprises : le couple.

Penser le couple en plus de l’égalité professionnelle

Nous n’avons certainement pas, collectivement, assez mesuré à quel point la bi-activité dans les couples est désormais devenue la norme, et à quel point elle constitue une révolution : en une génération, soit entre 1990 et 2015, nous sommes passés de 60% de couples bi-actifs à près de 80% en région parisienne. En 2012, le taux d’activité des femmes détenant un diplôme supérieur à Bac + 2 était supérieur à 90%. La part des femmes dans la population active tangente désormais les 50%.

Cette évolution quantitative est aussi sociale. Ce sont les femmes de la classe moyenne et de la bourgeoisie qui, ces vingt dernières années, sont massivement entrées sur le marché du travail : elles représentent aujourd’hui 40% des cadres et professions intellectuelles supérieures. Situation radicalement nouvelle : ce n’est que depuis le début XXIe siècle que l’on peut dire que la plupart des couples, quels que soient les milieux, travaillent, et en majorité comme salariés au sein d’organisations externes à la famille.

Les contraintes réelles ou psychologiques liées au statut cadre (forfait jours, disponibilité, responsabilité) pèsent aujourd’hui tout autant sur les hommes et les femmes. Pourtant, nonobstant l’étude publiée par HEC au féminin, les responsabilités familiales demeurent encore prioritairement assumées par les femmes : on peut considérer que si les femmes des classes moyennes et supérieures sont massivement entrées dans le monde professionnel des hommes, le mouvement inverse n’a pas encore été mené dans les mêmes proportions. À certains égards, cela amènerait à considérer, comme le fait Chantal Delsol dans Le nouvel âge des pères, que les hommes vivent parfois encore au XIXe siècle quand leurs compagnes vivent déjà au XXIe…

Flexibilité et réflexion sur l’expatriation

D’où de vraies difficultés pour les couples de cadres bi-actifs à réussir une articulation satisfaisante entre vie professionnelle et vie privée. Cette asymétrie nuit au bien-être domestique. Mais elle porte également préjudice au bien-être au travail, générant stress et culpabilité. Partir plus tôt et « abandonner » son travail et ses collègues à leur sort? Partir plus tard et délaisser sa vie personnelle? Ces deux exemples témoignent de la difficulté de l’équation, à l’heure actuelle, entre vie privée et vie professionnelle. D’où l’intérêt, pour les entreprises, de s’emparer pleinement des questions de flexibilité des temps de travail.

Sous cet éclairage, la question récurrente de l’accès des femmes aux différents niveaux de pouvoir prend également une nouvelle tournure : il ne s’agit plus tant de se demander « comment faire pour que les femmes cadres réussissent comme les hommes cadres » mais « comment faire pour que hommes et femmes trouvent dans la vie moderne des équilibres nécessaires pour concilier en couple vie professionnelle et vie privée ».

Cette problématique, qui se manifeste par l’émergence d’un nouveau ménage à trois, homme-femme-couple, s’est déjà invitée dans le monde du travail, où elle questionne fortement la mobilité, archétype jusqu’ici de la modernité : suivre son conjoint dans une autre ville ou un autre pays n’a ainsi aujourd’hui plus rien d’évident. Et les mesures destinées à accompagner le conjoint pour faciliter l’expatriation du salarié n’ont pas forcément l’effet incitatif escompté. Il semble aujourd’hui au contraire de plus en plus important pour les entreprises de questionner l’intérêt de l’expatriation dans la carrière de leurs collaborateurs. Côté personnel, les couples de jeunes cadres doivent envisager la bi-disponibilité comme une manière de penser ensemble un avenir commun et durable.