Source : localtis.info (31 mars 2015)
Aménagement numérique
« Nous allons passer du régime cuivre au régime fibre », annonçait le PDG d’Orange, Stéphane Richard, lors de la présentation du plan « Essentiels 2020 », le 17 mars dernier au Grand Palais. Ce plan, qui concrétise la nouvelle stratégie mondiale du groupe, prévoit entre autres une accélération sans précédent du déploiement de la fibre optique en France, dans les villes et leur proche banlieue. En revanche, il ne donne pas d’indications sur les interventions du groupe en zone publique. Ce qui conduit les élus et responsables locaux à s’interroger sur l’impact de ce plan sur leurs propres projets de déploiement.
La redistribution des cartes sur le très haut débit résultant de la fusion Numéricable-SFR ne pouvait être laissée sans réponse de la part d’Orange. Tout en positionnant le groupe dans une dimension plus internationale, la conférence de presse de présentation du nouveau plan stratégique, organisée la semaine dernière à Paris, marquait aussi la volonté de l’opérateur historique de reprendre l’initiative.
Orange annonce la complétude de la zone dense en 2018
L’effort annoncé est spectaculaire : d’ici à 2018, l’investissement du groupe s’élèvera à 4,5 milliards d’euros pour le FTTH (tous pays confondus), soit un tiers des 15 milliards d’euros prévus sur la période. Pour la France, les prévisions de couverture en nombre de logements raccordables retiennent l’attention par leur ampleur. De 3,6 millions de logements raccordables en 2015, l’opérateur vise les 12 millions en 2018 et les 20 millions en 2022 (qui est aussi l’année de bouclage du plan France Très Haut débit). En revanche, l’opérateur maintient un certain flou sur le détail. Les informations fournies concernent la zone dense où s’exerce une libre concurrence et la zone moyennement dense (zone AMII) régie par un accord de co-investissement entre Orange et SFR, signé en 2011 et toujours en vigueur jusqu’aux résultats d’une renégociation en cours.
Orange annonce la complétude de la zone dense en 2018 (le taux actuel est estimé à 47%) et une couverture partielle de la zone AMII qui passerait des 5% de taux de couverture actuel à 43% (estimation réalisée à partir des tableaux fournis par Orange) puis à 100% en 2022. La pente à gravir est raide. En effet, le déploiement prévoit 8,4 millions de prises à construire d’ici à 2018 et 8 millions supplémentaires pour finaliser en 2022. Soit une moyenne de 2,3 millions de prises raccordables par an qu’Orange compte atteindre en triplant les investissements sur la période. L’effort portera principalement sur la zone AMII avec 5,3 millions de logements raccordés en 2018, puis la totalité sur la dernière phase.
Sur la zone publique, Orange se contente d’évoquer un mix de technologies « incluant une couverture partielle en FTTH » sans autres précisions sur ses intentions.
Des annonces plutôt bien accueillies
Les nouveaux engagements de l’opérateur ont été plutôt bien accueillis par les représentants de collectivités et les professionnels interrogés par Localtis.
C’est le changement de posture assez radical qui retient surtout l’attention : « la technologie FTTH sera bien la technologie cible choisie par Orange », commente un chargé de mission. Même les technologies hybrides à terminaison cuivre (FttDP) seraient désormais abandonnées. L’explication de ce virage serré opéré est assez simple : Orange ne peut pas laisser Numéricable-SFR prendre l’initiative sans réagir. On peut même s’attendre à ce que les zones câblées soient « traitées » en priorité par l’opérateur historique. Aussi pouvait-on craindre que le plan ne se focalise un peu trop sur cette concurrence. Or Stéphane Richard a confirmé qu’il s’agissait d’une stratégie plus étendue.
L’expérience d’extinction du cuivre menée à Palaiseau et sur la zone dense s’est révélée plus positive que prévu. Les remontées d’usages des abonnés passés du cuivre à la fibre confirment qu’ils dépensent nettement plus dans ce nouveau cadre. Le chiffre d’affaires moyen par abonné et par mois – indicateur connu sous l’acronyme d’ARPU (Average revenu per user) – passerait en effet de 5 euros en 2015 à 7 euros en 2018 (soit une augmentation de 40%). Certes, un meilleur chiffre d’affaires ne signifie pas automatiquement rentabilité, mais on peut supposer que la direction d’Orange dispose d’indicateurs et a fait ses calculs. D’où l’idée qu’il faut aller vite et fort, investir plus rapidement et si possible sur l’ensemble de la zone privée.
Les chiffres annoncés sont crédibles
Il restait aussi à déterminer si les chiffres de déploiement annoncés étaient réalisables. La capacité de l’opérateur à atteindre une vitesse de croisière supérieure à 2 millions de prises par an laisse encore dubitatifs certains observateurs. D’autres la considèrent au contraire « sérieuse », en soulignant d’abord le caractère formel de la communication du groupe adressée, cette fois, officiellement au marché. En tant que société cotée en bourse, Orange ne peut se permettre de faire des annonces fantaisistes, au risque de se voir corriger par les marchés financiers si celles-ci devaient ne pas être tenues. « C’est ce qui rend sans doute cette annonce crédible », souligne un consultant en ingénierie financière.
D’autres faits corroborent cette mise en ordre de bataille. L’accélération ne serait pas une surprise, pour bon nombre de spécialistes. Des signaux précurseurs étaient de plus en plus fréquemment décelés sur le terrain au cours des derniers mois : « Quand on discute avec les sous-traitants, le prévisionnel des commandes confirme l’accélération », affirme un chargé de mission ; « La mobilisation et le renforcement des équipes sont devenus plus visibles », souligne un autre ; quant au positionnement commercial dans les zones de raccordement avancées, il a changé assez radicalement puisque « les offres sur cuivre sont retirées pour pousser la fibre », constate un directeur de syndicat d’aménagement numérique… Autrement dit, pour beaucoup, les annonces récentes viennent simplement confirmer officiellement un changement de cap de l’opérateur déjà visible sur le terrain. Ultime argument : « La bascule sur la fibre va rapporter plus, et les premiers installés seront gagnants dans l’opération », estime Jean-Luc Sallaberry, chef du service communications électroniques à la FNCCR, ce qui s’entend déjà dans les prévisions avancées par le groupe. De plus, retarder encore serait dangereux, y compris par rapport aux autres pays européens qui amorcent à leur tour un décollage, à l’instar de l’Italie qui a récemment présenté son plan public.
RIP : les parents pauvres des annonces officielles…
L’absence d’indications sur la zone publique, en revanche, ne peut satisfaire les collectivités territoriales engagées dans de lourds investissements. « Dans la communication officielle d’Orange, cette zone, qui représente pourtant 85% du territoire et 40% de la population, n’existe pas », constate Patrick Vuitton, le délégué général de l’Avicca. Ce n’est pas la priorité du moment. « N’oublions pas aussi que les RIP n’ont pas encore amorcé leur déploiement », rappelle un fonctionnaire de Bercy. Qui prédit qu’Orange continuera à « pousser » la montée en débit sur la zone publique plutôt que la fibre – « une manière de ralentir la complétude des réseaux FTTH et de profiter plus longtemps de la rente du cuivre ». Une vision que partage le directeur du syndicat mixte interrogé : « Tout sera bon pour retarder la bascule sur la fibre dans nos territoires », regrette-t-il.
Faut-il pour autant considérer la zone publique comme une zone d’exclusion pour Orange ? L’hypothèse paraît peu plausible. D’abord, au regard des réactions qu’une telle position engendrerait de la part de l’Etat, toujours actionnaire. Ensuite, parce que ces territoires vont devenir progressivement attractifs pour les grands opérateurs. Toutefois, la question cruciale est bien de savoir quand cette présence se manifestera. L’opérateur envisage-t-il de co-investir dans certains RIP, dès leur lancement, ou de prendre un minimum de risques en optant pour la location, plus en aval, lors de la complétude des première plaques ? Les acteurs publics locaux devront sans doute patienter pour obtenir une réponse. Mais il existe encore une certaine marge d’attente puisque les premières prises dans les RIP ne sont sorties qu’au cours de ces dernières semaines, dans l’Oise et dans la Loire notamment. Selon les estimations de la mission Très Haut débit, le pic de progression le plus élevé devrait se situer au second semestre 2016, avec 90.000 prises mensuelles. Le plan sur la zone publique sera alors proche de sa vitesse de croisière. C’est donc à partir de 2017 que les questions de commercialisation commenceront sérieusement à se poser. On sait en effet que les projets présentés par les collectivités à 5 ans ne couvrent pas la totalité de leur territoire et qu’elles auront besoin des revenus des opérateurs pour financer la couverture la totalité. Pour cela, une tarification optimale, « ni dissuasive ni trop basse », comme le souligne Patrick Vuitton, devra être recherchée. C’est d’ailleurs l’un des principaux chantiers de l’année 2015 pour l’Arcep, qui a déjà mené deux consultations sur le sujet. « Le raisonnement tient si Orange accepte de jouer le jeu de la commercialisation », estiment toutefois quelques analystes financiers qui estiment qu’en cas d’absence de visibilité à l’horizon 2017, il conviendra de tirer la sonnette d’alarme. « Orange est un acteur important mais il n’est pas tout seul », rétorque Patrick Vuitton. « Une bonne manière d’activer la concurrence sera de faire venir les autres opérateurs sur les zones publiques », ajoute-t-il.
L’accélération de l’investissement privé… un appel d’air possible pour les RIP
Certes, la partie n’est pas gagnée et les hypothèses sont encore ouvertes. Mais l’annonce d’Orange sur la zone privée envoie un signal très favorable pour la fibre qui fait déjà réagir la concurrence. Numéricable-SFR s’intéresse de nouveau à la zone AMII. Dans les négociations engagées, si Orange se dit prêt à reprendre toutes les zones SFR sur lesquelles existe déjà un réseau câblé (800.000 prises à réaliser environ), de son côté, Numéricable-SFR demande en retour à Orange de lâcher du lest sur d’autres territoires de la zone AMII. Faute d’accord immédiat, l’Autorité de la concurrence sera sans doute amenée à arbitrer assez rapidement entre les parties. D’autres opérateurs, comme Free, amorcent aussi une révision de leur stratégie… en faveur de la fibre.
Le réveil de la concurrence semble bien engagé sur la zone privée. Il pourrait, de la même manière, s’étendre à la zone publique. Sans compter qu’avec la progression des usages et des services résultant de la bascule sur la fibre, les déséquilibres entre zone privée et zone publique risquent de se creuser un peu plus. La pression des usagers pour réduire l’écart sera alors très forte. « De quoi faire bouger un peu plus l’écosystème », estiment certains observateurs. En cela, les annonces d’Orange sur la fibre font espérer qu’une dynamique pourra s’enclencher sur la zone publique. Il n’y a pas lieu encore de crier victoire car le chemin demeure sinueux. Mais certaines indications permettent de rester optimiste sur la tendance qui se dessine